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Panorama des situations-problèmes en lecture/écriture
Des
activités qui mettent les élèves au travail
D’après Jean François Inisan, Elisabeth
Vlieghe, Passages.
1. POURQUOI DE TELLES ACTIVITÉS SONT-ELLES NÉCESSAIRES ?
Une hypothèse :
les élèves sont souvent bavards et peu mobilisés, avec tous les problèmes
éventuels de gestion de classe qui en découlent, parce qu'ils sont
insuffisamment au travail. La mise en œuvre d'activités plus pertinentes
a des effets sur la mobilisation des élèves, leurs apprentissages et
en conséquence leurs comportements dans la classe. Il ne s'agit pas
de varier et de faire ludique pour éviter l'ennui de la répétition,
mais d'inventer des tâches à effectuer, des problèmes à résoudre,
en vue de provoquer des apprentissages.
Objectifs de cette synthèse :
- Mieux cerner les enjeux et les types de démarches qui mettent
les élèves au travail en lecture-écriture.
- Mieux comprendre le sens d'activités déjà construites que l'on
voit mises en œuvre par d'autres collègues.
- Transférer de manière plus large des idées de démarches que l'on
a inventées soi-même.
Pourquoi de telles activités ?
Elle se justifient sur des plans différents :
- les données théoriques sur la réception des textes telles qu'elles
sont formulées par U. Eco ou H.R. Jauss notamment.
- les limites des activités de commentaire, de glose (comme la
lecture expliquée par exemple). Un usage exclusif de celles-ci se
traduit par du bavardage croissant en cours de séance : les élèves
ne sont pas vraiment au travail ; certains se demandent pourquoi
on revient sur un texte que l'on vient de lire à haute voix ; d'autres
pensent que les interprétations de l'enseignant sont une pure invention
au regard des intentions réelles de l'auteur.
- la nécessité de s'appuyer sur les hypothèses des élèves. Elle
est déterminée par deux raisons essentielles : provoquer une implication
personnelle et collective dans la réflexion ; permettre à un enseignant
(un adulte qui a déjà travaillé un texte donné) d'entendre réellement
les questions et les problèmes que les élèves se posent au moment de
la lecture.
MOBILISER PRÉALABLEMENT LES ÉLÈVES
Il s'agit de prendre en compte le fait que les élèves ne sont
pas nécessairement dans une attitude de questionnement spontané face
à de nouveaux textes qui leur sont proposés. Ils sortent d'une autre
heure de cours, ils ont parfois des préoccupations d'ordre privé, ils
n'aiment pas lire ou n'ont pas envie de lire à ce moment-là…
Avant la séance ou en début de séance où l'on va lire, on peut les mobiliser
par un moment de reformulation des activités précédentes, des mises
rapides à l'écriture, une exploration des représentations, des questions
préalables, une annonce des enjeux de l'activité ou au contraire une
mise en énigme de ceux-ci, qu'il s'agit dès lors de deviner. Le travail
sur le texte est dès lors construit en réponse à la première phase.
Plus profondément, il s'agit pour certains élèves de construire avec
eux une situation où ils peuvent s'approprier une posture de lecteur
qui ne leur est pas familière. C'est particulièrement ce qui est travaillé
dans Commencer avec Molière,
Tous les chemins mènent au ciel.
FAIRE LIRE DES TEXTES QUI FONT STRUCTURELLEMENT
PROBLÈME
Objectifs :
L'objectif est de mettre en débat des hypothèses possibles en faisant
en sorte que les élèves reviennent aux textes pour étayer leurs hypothèses
et leurs interprétations.
Les textes sont donnés in extenso, avec plus ou moins d'indications
sur le paratexte. Les élèves les lisent d'abord en entier individuellement.
Les textes sont choisis parce qu'ils résistent à une première lecture :
- soit parce qu'ils sont volontairement indécidables de la part
de l'auteur. (du point de vue du genre ou du registre par exemple).
C'est le cas dans Auto-stop, Histoire naturelle
par exemple.
- soit parce qu'ils ont une intention "piégeante " de l'auteur
(transgression narrative, point de vue inattendu soit du fait d'un narrateur
qui se laisse difficilement découvrir -monstre, animal, bébé, objet-
ou d'un univers fictionnel inattendu). C'est le cas dans les hommes sont différents, Une si jolie poupée, Pauvre Juliette.
- soit tout simplement parce que l'enseignant a constaté qu'ils posent
un problème de réception du fait d'une insuffisante maîtrise de compétences
des lecteurs enfants ou adolescents comme dans Commencer avec Molière.
La Fontaine, Voltaire
Cette approche est en outre particulièrement intéressante du fait qu'elle
permet une interrogation avec les élèves sur l'acte même de construire
du sens en lisant.
CRÉER UN PROBLÈME PAR DES OPÉRATIONS DE MANIPULATIONS
DU TEXTE
Le travail porte également sur un seul texte ou un seul fragment.
Mais, à la différence de la démarche de la lecture expliquée qui vise
à provoquer du questionnement sur un texte d'abord lu en entier et auquel
on ne touche pas, on se permet ici d'effectuer une ou plusieurs opérations
de manipulation sur le texte proposé en lecture. Il s'agit d'appliquer
à la lecture des textes des principes mis en œuvre dans l'émission de
télévision Palettes pour découvrir des tableaux célèbres. Plutôt
que de gloser par un commentaire plus ou moins composé en voix off,
on modifie des données du tableau ou texte source afin de faire prendre
conscience d'un certain nombre de problèmes au spectateur-lecteur.
Les opérations peuvent porter indifféremment sur des textes d'auteurs
ou d'élèves. Elles peuvent être faites tantôt par l'enseignant, tantôt
par les élèves eux-mêmes.
Le dévoilement progressif. (épisodes)
Objectifs : le texte est donné en plusieurs fragments successifs
afin provoquer des hypothèses sur les suites possibles. L'opération
peut être faite à partir :
- de textes narratifs coupés à des moments opportuns du récit :
L'affaire du 7 Rue de M, Polaroïds, les embouteillages.
- de textes argumentatifs coupés à des moments-clefs du circuit
argumentatif.
- de textes poétiques ou de chansons amputés d'un couplet final.
- de publicités de magazines dont on ne donne d'abord que les
images puis progressivement des fragments de textes.
- de spots publicitaires que l'on donne sans le son ou l'image,
ou bien dans une langue étrangère (alphabétique ou non alphabétique).
- de couvertures de livres que l'on donne par morceaux successifs.
Lire les couvertures
Le puzzle. (désordre)
Le texte est donné en entier mais mélangé.
Objectifs : reconstituer un ordre à partir de prises d'indices
lexicaux, de connecteurs spatio-temporels ou logiques.
- un conte ou un récit segmenté en différentes étapes : La Genèse (fabrication par les élèves d'un
texte puzzle).
- un texte argumentatif dont les étapes sont mélangées.
- un poème dont les strophes sont mélangées.
L'intrus. (mélange de textes)
Il peut s'agit de fusion de textes ou de farcissage d'un texte-source
par des fragments puisés ailleurs.
Objectifs : aider à différencier des types de textes, aider
à prendre conscience d'effets de style.
- des fragments encyclopédiques introduits dans une narration.
- des choix lexicaux à faire dans une description. (il faut choisir
entre des doublettes qui ne provoquent pas les mêmes effets de sens).
Le caviardage de certains éléments. (opération de suppression)
Objectifs : faire prendre conscience, en les supprimant,
de l'importance et la spécificité de certains éléments lexicaux ou textuels.
On peut demander aux élèves de les retrouver seuls. On peut les aider
en mettant à leur disposition des réservoirs de mots ou de fragments
de textes.
Qu'est-ce qu'on peut caviarder ?
- Un court fragment interne au texte ou bien toute la partie du
texte située entre l'alpha (début) et l'oméga (fin)
- Le début ou la fin d'un texte
- Des connecteurs logiques ou des exemples dans un texte argumentatif.
- Des termes permettant d'identifier facilement le narrateur ou
un personnage du texte.
- Des indices énonciatifs permettant d'identifier l'origine.(références
du texte, présentation explicative).
- Les rimes d'un poème.
- Des passages descriptifs dans une narration : La Chose.
- Des verbes introducteurs dans un dialogue.
- Les illustrations dans un album : Une si jolie poupée.
Des modifications de mise en page et de typographie
Objectifs : faire prendre conscience, par modification,
des effets de sens liés à ces aspects.
Quelques exemples :
- Des indices typographiques permettant d'identifier l'origine.
(un article de presse présenté en typographie au kilomètre au lieu de
colonnes ; un poème classique en vers présenté en prose en vue
de retrouver sa forme originelle).
- Des fragments de dialogues " noyés " dans la narration,
par effacement des indices typographiques.
- Des variations de ponctuation qui induisent des sens différents
ou opposés.
CRÉER DES PROBLÈMES PAR DES TÂCHES DE TRIS DE
TEXTES
A la différence des catégories précédentes, il s'agit ici
de faire travailler les élèves sur plusieurs textes ou fragments. L'idée
est que l'on apprend en comparant, en regroupant, en mettant en relation
en repérant des intrus. A travers ces activités, les élèves sont amenés
à argumenter, justifier des choix, produire des critères, utiliser du
métalangage pour désigner ce qu'ils découvrent.
Les opérations peuvent porter là encore sur des textes d'écrivains ou
des productions d'élèves.
Objectifs :
Ces activités peuvent avoir un objectif principal de construction de
compétences et de savoirs en lecture.
- choix : tri de livres, appariements de titres, illustrations,
textes-amorces, tables des matières ; appariement de premières
et quatrièmes de couverture.
- lecture de récits : rôles des Débuts
de récits, des descriptions, des
points de vue narratifs différents ou des thématiques proches (Le Journal du monstre), de la manière de transcrire des paroles de personnages :
tri de fragments qui sont des transcriptions de français non standard :
régionaux (paysan normand, chtimi…), avec accents étrangers (allemand,
français, arabe…), socialement marqués (argot, verlan….).
- lecture critique : comparaison de plusieurs articles de
presse relatant un même événement.
- histoire littéraire, intertextualité, pastiche, parodie.
- histoire de la langue : Tri de textes du 13ème siècle à
maintenant, présentés dans la langue d'origine (orthographe, lexique,
syntaxe, typographie…)
- genèse des œuvres : comparaison de brouillons, de différentes
versions d'un même texte.
- visées discursives, genres, registres, types de textes :
classification d'écrits sur un même thème;
- classification de textes privés de leurs caractéristiques énonciatives
ou typographiques ; tris de récits appartenant à des genres différents.
- effets d'écriture : comparaison de différentes traductions
d'un même texte (une traduction littéraire d'un épisode de L'Odyssée
et une adaptation pour la jeunesse) ; comparaison d'une même œuvre
dans des versions destinées aux adultes et aux enfants.
- spécificités et différences entre les médias : comparaison
de transpositions diverses d'un même récit (roman, bande dessinée, cinéma,
spot publicitaire).
Mais bien sûr l'orientation des activités peut également concerner
l'acquisition de savoirs et de compétences en production d'écrits.
C'est évidemment le cas quand toutes les activités décrites ci-dessus
sont conçues comme des formes d'aide à l'écriture ou à la réécriture.
Cet objectif est également central quand les textes ou fragments sur
lesquels porte le travail sont des productions d'élèves, qu'il s'agisse
de les aider à réécrire leurs propres textes ou à prendre conscience
des critères d'évaluation.
Bien entendu les textes eux-mêmes ne déterminent pas mécaniquement
des démarches décrites dans la typologie ci-dessus. Ils se prêtent au
contraire à la construction de multiples démarches en fonction des objectifs
de l'enseignant.
LE RÔLE DU PROFESSEUR DANS LA CLASSE
Conduire ces activités n'a de sens que si le professeur mesure
comment son rôle, sa posture, se trouvent modifiés. Il ne s'agit plus,
en s'appuyant sur quelques élèves qui acceptent d'entrer dans un dialogue
avec l'enseignant, d'apporter d'excellentes réponses à des absences
de question (selon la formule de Philippe Meirieu).
Le but essentiel est de conduire une séance où l'enseignant doit se
penser comme :
- un constructeur de questionnement chez les élèves.
- l'animateur d'un travail argumentatif collectif sur un problème
esthétique (puisqu'il s'agit de confronter des compréhensions et
des interprétations sur des textes lus par chacun). Cela a des conséquences
en matière de conduite de classe :
- l'animateur n'a pas comme priorité de donner son avis d'emblée,
ce qui tuerait le débat.
- il considère qu'il s'agit plutôt de susciter le maximum de prises
de position.
- il est garant de la possibilité de prise de parole du plus grand
nombre.
- il veille à ce que les opinions émises s'appuient sur les textes.
Il aide ainsi les élèves à fonder et à justifier leurs interprétations.
- parfois il s'agit d'arriver à un accord : (délibératif
). Parfois il s'agit d'arriver à un relevé de conclusions (dans le cas
de plusieurs interprétations possibles).
Cela suppose l'acquisition de compétences concrètes de conduite
des activités au quotidien, afin de rendre le travail possible et fructueux :
- phases d'alternance de moments de travail individuel ou de groupes
et de mises en commun.
- formulation de consignes et notamment questions de relance si
les élèves éprouvent des difficultés face au texte.
- procédés de décompte rapide des avis (qui pense plutôt que ?
qui n'a pas d'avis ?)
- présentation et numérotation des documents mis en lecture pour
que l'on puisse s'y retrouver.
- utilisation du tableau pour classer, valider.
- improvisation de petites synthèses issues du travail collectif.
- un expert des textes enfin puisqu'il dispose
de savoirs multiples qu'il met à disposition des élèves.
Travailler ainsi a enfin un intérêt majeur : les élèves
se trouvent dans une situation où l'argumentation est un outil :
il avancent des hypothèses ; ils les étayent par des arguments ;
d'autres avancent des contre-arguments, voire procèdent à des réfutations.
Tout cela contribue à créer dans la classe des compétences et des savoirs
pour d'autres moments où l'argumentation deviendra objet de travail.
Au professeur de faire les liens, en disant explicitement que ces savoirs
seront réutilisés ultérieurement, ou/et en prenant appui sur le travail
précédent lors de séquences où il s'agira d'argumentation.
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