[Orthographe]

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Le « moi » et l’orthographe…
Marylène Constant

 

Les 2 mini-autobiographies ci-dessous sont librement inspirées de propositions de Yves Reuter, Enseigner et apprendre à écrire, ESF, 1996 dans le chapitre intitulé « Construire la motivation ».

Je cite :
« La prise en compte de l’existant concerne tout ce que connaissent et savent faire les élèves en matière d’écriture (ce qu’ils ont appris, leurs pratiques scolaires et sociales) ainsi que leur rapport à cette pratique et leurs représentations (c’est moi qui souligne).
Cela participe de la construction de la motivation et du sens des activités dans la mesure où :
-         faire autrement serait nier ce que sont et ce que font les élèves ;
-         faire autrement empêcherait de s’appuyer sur ces savoirs, ces représentations et ces pratiques et ferait courir le risque de leur retour sous formes de résistances ;
-         faire autrement entraînerait le risque de la répétition infructueuse sous les mêmes formes (voir en grammaire, du cours moyen à la troisième, l’accord du participe passé avec « avoir » quand le complément d’objet est placé avant…) ;
-         cela fait partie de la reconnaissance et de la valorisation possible des élèves ;
-         cela change aussi leur image dans l’esprit de l’enseignant (ils ne sont pas que des têtes vides ou truffées d’erreurs) ;
-         cela engendre déjà dans l’espace classe, une prise de conscience individuelle et collective, une entrée dans la dimension réflexive, voire la mise en place d’un conflit socio-cognitif (par la confrontation organisée des pratiques, des savoirs et des représentations »

Il semble donc indispensable de consacrer du temps à ce travail (voir le dossier « exemples d’enquêtes ») puis de s’appuyer sur les données recueillies pour objectiver l’existant, le compléter, le modifier. Il ne faut pas bâcler cette tâche sans retour avec les élèves, sans références ultérieures, sans finalisation dans les activités engagées.

(En construction un groupement de textes bientôt en ligne : extraits de roman, témoignages)

Ce que nous disent ces deux textes…

 La souffrance, l’humiliation éprouvées par les « mauvais », les infirmes et handicapés de l’orthographe, comme ils peuvent se nommer.
La résignation, la démotivation, le rejet de la norme.
La critique sous jacente des méthodes utilisées, leur caractère répétitif.
La honte de ne pouvoir écrire sans angoisse à quelqu’un.
La colère contre l’institution qui somme toute ne fait que constater.
La culpabilité vis-à-vis de la famille.
Et tenter de cacher son déficit par une calligraphie volontairement approximative ou en se trouvant une échappatoire « aimer les maths, être bon en maths »…
Et quand même, le goût des mots, au point d’en faire une figue de l’amour impossible.

 A la demande de Thibaut, l’orthographe a été rectifiée (le poids du regard des autres…)

L’orthographe ou Moi.

 

L’orthographe, ce truc qui fait la différance entre stupidité et stupiditè, génie et gènie (a et à) : ça ce prononce pareil ça se lit pareil, on comprend surtout la même chose -c’est l’essentiel non ?- mais non. Tout le monde, dicté par la tyrannie de l’orthographe, vous dira : « beaucoup de fautes d’orthographe », plus sobre : « Gros problèmes de syntaxe », direct : « orthographe !! », abrévié : « orth ! »

C’est ma faute, c’est ma très grande fote oui je fais des fautes d’orthographe,  plein même, je serais tenté de dire et alors, mais non. Parce que c’est plutôt handicapant. Avant je ne voyais pas ça comme ça, avant qu’on arrive à me complexer sur le sujet. Pour mieux comprendre, faisons place au petit quart d’heure historique, rétrospectif à propos de ma personne.

Maternelle : non là je ne savais pas écrire…

 CP an 0 : et Dieu créa l’orthographe, le commencement des problèmes… Là j’apprenais à écrire, (b)ah les premières dictées, souvenirs… Je ne comprenait pas pourquoi je ne pouvais pas écrire mengé à la place de mangé. Fallait me comprendre, on saisissait quand même et si c’était tante et tente, le contexte ferait le reste. Alors, tout en contradiction avec l’école et têtu comme une mule je restais sur mes convictions.

Adolescence : ouais les fautes d’orthographes ça me démarque du système, ouais je m’en tape, ouais c’est pour faire ch… ces prof quand ils me lisent (dans le même ordre d’idées, ma calligraphie une prouesse d’illisibilité) bref un peu rebelle. Certes un peu caricaturé mais le sens est proche de ce qu’il était.

Bac français : « avec votre orthographe, vous n’aurez pas plus que la moyenne… »

Et effectivement avec un pas trop mauvais sens d’analyse et des idées, 10. En se consolant, on peut se dire que c’est le maximum que l’on pouvais avoir, mais ça fait légèrement mal à l’ego : honte de la famille, étant moi même issu d’une mère professeur de Français, un comble.

C’est là et même un peu avant qu’on commence à réfléchir : se dire qu’on te prend pour un imbécile parce que tu sais pas faire trois phrases sans mal orthographier trois mots sur quatre. Avoir peur d’écrire un mot de remerciement sur une carte de vœux parce que tu complexes : c’est joyeux ou joyeu déjà ? (sans x, c’est pas au pluriel anniversaire ?). C’est comme être bavard en ayant la langue légèrement coupée, moi j’écris des mots infirmes, et pourtant je les aime ces mots, ces phrases mais je ne leur montre pas.

            Si il y a des fautes, il y a forcément un coupable, mais qui ? Moi c’est sûr, j’assume. Des circonstances atténuantes ? On m’a mal appris ? Aux autres ça a réussi. Une enfance difficile ? Non pas trop. Les mauvais gènes ? Qui sait ?

Mais pour moi, la responsabilité est à ce petit garçon qui ne voyait pas en quoi écrire « en » ou « an » changerait toute sa vie, prisonnier des mots qu’il n’écrivait pas comme tout le monde le faisait.

Thibaut, 18 ans


 Ce  deuxième texte a été transcrit sous la forme de la dictée à l’adulte.

Mon pire souvenir d’orthographe

 

Mon pire souvenir avec l’orthographe, c’est au CM2. il fallait copier deux fois chaque mot d’une liste de trente mots au moins. Dictée le lendemain. Un cauchemar. Ma main tremblottait, j’avais des frissons. Quand j’écrivais, ma main écrivait toute seule sans mon cerveau. Je ne pensais plus. Puis je récupérais ma dictée. Je n’ai jamais réussi à avoir zéro mais souvent, j’avais un. Et je copiais 10 fois les neuf  mots. Puni. Une fois, j’en ai eu marre, j’ai tout écrit phonétiquement exprès. Exemple, j’ai écrit « téléfon ».

L’orthographe, ça ne m’intéresse pas. A nous deux, on fait deux. Ma passion, c’est les mathématiques et les chiffres, je sais les écrire. J’ai même appris à écrire « parallèle » sans me tromper. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’en Français, ça ne rentre pas et qu’en Anglais, je mémorise les mots. J’aime bien lire, j’aime bien le français sauf l’orthographe. Beaucoup de professeurs me reprochent d’écrire mal… Je suis lisible pourtant.

Quentin, 11 ans

 

 

Les deux témoignages suivants sont extraits de Bernard Traimond, Une cause nationale, l’orthographe française, Ethnologies, PUF

 

Témoignage 1

D... : « Une grande partie de ma vie, quand même, je dirai person­nelle, quotidienne, familiale, universitaire, est organisée autour de ce, je dirais, de ce problème d'orthographe et de stratégies pour éviter que ça se sache, que ça se voie. Et je dirai que j'en ai, j'en ai, je m'y suis adapté mais il m'a fallu beaucoup d'années.

Et je me souviens très bien, devant aller écrire au tableau et j'ai commencé à écrire un mot d'abord de droite à gauche et de manière inversée, "miroir", et en écrivant "miroir", j'avoue que j'ai été moi‑même surpris devant mon propre résultat, c'est‑à‑dire qu'il y avait quelque chose d'un peu stupéfiant pour moi, de voir ce que j'étais capable de faire, qui ne ressemblait pas à ce que faisaient les autres. Mais ce qui a été le plus dur sur le moment, ça a été l'humiliation du groupe de la classe, l'institutrice... j'ai passé une bonne partie de la matinée derrière le tableau, j'ai été puni et, le soir, ma mère a été convoquée. Et il y a donc eu tout... tout un montage du drame que je positionne, moi, dans ma mémoire, à ce moment‑là, quoi.

On m'a fait recopier la dictée, on me faisait recopier les mots, ça servait jamais... jamais à rien. je me souviens très bien, le beurre, j'écrivais le beurre je me ‑souviens de ça parce que l'instituteur m'avait beaucoup engueulé, ça c'était au cours moyen 2, j'avais écrit le beurre boeur et... j'avais... mais tu ne fais jamais les courses, tu ne t'intéresses pas à la vie familiale, tu ne vas pas... et ça m'avait culpabilisé. je pensais quand même... je pensais... et je m'étais dit... et puis face à ça, que dire ? Que dire, finalement ? Beurre, effective­ment ça s'écrit beurre... d'ailleurs en l'énonçant j'ai peur de me tromper encore, mais... (rire) ». Je n'ai plus jamais écrit.

Donc, mon père ‑ ça me culpabilisait beaucoup ‑ faisait soixante kilomètres pour m'amener chez l'orthophoniste, me ramener, m'attendre dans la voiture. Mon père, mes parents se sont mobilisés sur ce problème et alors que je voyais bien que je ne les gratifiais en rien. C'était, ça a été des passages difficiles, mon père pique‑niquant dans la 4L pendant que j'étais chez l'orthophoniste.

Je dirai que j'ai été d'abord dépassé par ça pendant... pen­dant... jusqu'à l'âge de... 17 ans. A 17 ans j'ai arrêté complètement d'écrire d'ailleurs pendant... enfin bon j'ai quitté l'école en échec scolaire en grande partie d'ailleurs à cause de ce problème d'orthographe puisque j’ai d’ailleurs été pris en charge par des orthophonistes pen­dant des années, j'ai été catalogué dyslexique, alors j'avoue que j'étais dépassé moi‑même par le problème. je savais qu'il y avait un problème, mais je ne le..., je ne le..., je ne le... je ne l'identifiais pas, je n'en faisais pas du tout le contour. je savais que j'étais... Mon problème était avec les gens finalement plus qu'avec l'orthographe et le problème avec les gens, les personnes, le corps enseignant notamment, fait que ce problème d'orthographe m'échappait. je sentais que les gens étaient plus emmerdés par ce problème que moi je ne l'étais, je n'ai même pas eu l'occasion pen­dant très longtemps d'appréhender ce problème en tant que tel. Le pro­blème était avant tout de pas être derrière le tableau. Enfin, donc j'ai... Voilà. J'ai arrêté d'écrire... moi, j'ai arrêté d'écrire.

Mais j’ ai rencontré deux obstacles : Je me souviens très bien d'avoir traversé c'était au mois d'août, je me souviens c'était fin août, début septembre, j'ai vu traverser les gamins, traversant moi, au pas, avec d'autres bidasses, j'étais avec tout un tas d'engagés. Donc, dans une période 73, c'étaient les comités de soldats, c'étaient les maoïstes, etc., ils faisaient beaucoup d'entrisme mais dans les unités d'engagés, c'est là qu'on mettait les pires et moi j'ai vécu quand même, là, c'est pas l'enfer, l'enfer c'est autre chose, des moments extrêmement difficiles. Et j'ai pleuré en voyant traverser ces gamins qui allaient à l'école avec leur cartable et finalement, un peu paradoxalement, alors que j’avais beaucoup souffert à l'école.

J'avais une relation amoureuse avec une fille de Bordeaux qui comptait beaucoup pour moi, et donc j'ai com­mencé à lui réécrire comme ça et j'étais assez coincé, toujours assez coincé par rapport à cette lettre notamment, j'avais un style je pourrais pas relire mes lettres du moment. Je tournais autour de quelques formulations que je maîtrisais à peu près...

Puis, j'ai été formateur durant quelques années et jamais aucun étudiant ne m'a fait remarquer que je faisais une faute. Finalement c'était le meilleur moyen de me passer de la critique des autres.

 

 

Témoignage 2

L… : « L'instituteur m'avait dit: Regarde ta dictée recopiée, il y a plus de fautes que dans l'autre. C'était au cours élémentaire deuxième année.  Donc , j’avais fait des fautes et je m’étais fait sévèrement gronder avec punition avec punition, la règle sur les doigts...   

Q On t'avait tapé ?

L... Oui et...

Q. Punition? Recopier?

,L... Faire des lignes, recopier le mot plusieurs fois, cent fois écrire le même mot.

Q. Cent fois ?

L... Oui, ça allait jusqu'à la centaine. Maintenant les souvenirs, ça a pas...

Q Bien sûr. Et tu as été malheureuse ?

L... Ah oui, j'avais été malheureuse parce qu'en fait, parce qu'en fait, je n'étais pas habituée à me faire gronder comme ça, et puis voilà, quoi. »