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Le rapport au savoir, notes extraites de Donner du sens à l'école, Michel Develay, ESF, Paris, 1996  pages 39 – 66

 

«D'une part, pour installer des apprentissages performants, l'enseignant se doit de mieux saisir la nature du rapport des élèves au savoir et d'autre part, il doit comprendre le type de rapport des élèves à la loi. Un rapport au savoir, qui ne soit pas d'emblée un rapport de rejet mais un rapport d'adhésion, constitue un premier préalable pour apprendre. Par ailleurs, un rapport à la loi qui permette la sérénité pour accepter les déstabilisations de l'apprendre constitue le second préalable à toute acquisition de savoir. »

« Une des questions clés que posent les élèves aux enseignants est : « À quoi ça sert d'apprendre ce qu'on apprend'? » et, plus largement : « A quoi ça sert de réussir à l'École ? ».

Pour répondre en pratique à ces questions, et donc aider les élèves à trouver du sens à l'École, l'enseignant doit comprendre ce que l'École; le savoir, apprendre des savoirs scolaires représentent pour les élèves. Il lui faut simultanément comprendre ce qu'accepter d'écouter, de débattre, de répondre à des questions posées, de faire des devoirs, de participer à la vie scolaire représentent pour les élèves en termes de rapport à la loi. »

« Cette perspicacité ne permettra pas automatiquement aux maîtres de créer les conditions d'apprentissages réussis, de faciliter pour les élèves la découverte de sens dans l'École et de l'École -, il ne suffit pas de comprendre pour agir car il n'y a pas de déductibilité de l'action au regard de l'intention. Mais cette intelligence de la situation installera les préliminaires à une nouvelle professionnalité du métier d'enseignant. »

Deux auteurs de référence : Bemard Charlot (1992) d'une part, comme sociologue de l'éducation. Jacky Beillerot (1989) d'autre part, en empruntant aux concepts de la psychanalyse.

« Il n'y a pas d'apprentissage scolaire sans désir d'apprendre, sans chercher à vivre avec le savoir et ce que représente son acquisition, une liaison de plaisir, une liaison de nature érotique. « Apprendre, c'est investir du désir dans un objet de savoir », Freud »

 

Qu'est-ce que le savoir ?

« Le terme est parfois distingué de celui de connaissance ou d'information et se confond alors avec celui de science. Le savoir, ce n'est plus dans ce cas ce qui est personnel, mais c'est ce qui relève d'une communauté qui a décidé de statuer sur une connaissance pour l'ériger en savoir. Dans ce cas le savoir serait universel, la connaissance singulière. Pour Jacques Legroux (1981): l'information désigne des faits, des commentaires dont il est possible de prendre connaissance dans son entourage par la radio, la télévision, la presse, une conférence, une discussion, une lecture. L'information constitue une donnée extérieure à la personne, qu'il est possible de stocker (livre, bande magnétique ou magnétoscopique, mémoire d'ordinateur) et de redécouvrir identique à plusieurs années de distance.

Lorsque l'information est reçue par une personne, celle-ci se l'approprie, la fait sienne. L'information externe devient sa connaissance propre. Ainsi le même discours est entendu diversement par ses auditeurs, le même livre est perçu différemment selon ses lecteurs. Pour chacun, l'information impersonnelle devient connaissance personnelle.

 

La connaissance est intérieure à la personne et, en tant que telle, n'est pas stockable ailleurs que dans la mémoire du sujet où le temps la transforme. Elle risque de ne pas être identique chez un sujet à plu­sieurs années de distance.

 

Le savoir a pour origine une rupture opérée par le sujet avec ses connaissances, rupture qui crée une instance nouvelle que Jacques Legroux nomme savoir. Le savoir correspond à une mise à distance du sujet à l'égard de sa connaissance, grâce à l'usage d'un cadre théorique(...). Une trilogie s'organise alors: des informations impersonnelles transformées en connaissances personnelles peuvent donner naissance à des savoirs qui, diffusés à un public, deviendront à leur tour des informations ; jusqu'au jour où une personne, reconsidérant les connaissances qu'elle s'est construite à partir de ces nouvelles informations, produira un nouveau savoir. À l'origine de la production de savoir à partir des connaissances, il existe une rupture, une phase de mise à distance du sujet à l'endroit de ce qu'il acceptait jusqu'alors.

 

Par la suite nous n'utiliserons pas le mot savoir dans le sens précis et restreint que nous venons de rappeler. Le savoir correspondra à ce qui est enseigné à l'École, à ce pour quoi l'École existe en partie: enseigner des savoirs. Utilisant le mot savoir dans l'extension large de ce qui est enseigné, il nous faut éclairer trois ambiguïtés.

 

L'École a pour finalité de transmettre des savoirs. D'autres institutions avec elle partagent cette charge : les musées, les bibliothèques, les banques de données, la télévision et la radio entre autres. Le mot savoir a une connotation plus large que celui de savoir scolaire. Le savoir s'orne d'une majuscule - le Savoir - assimilable à la culture. Le rapport au savoir de l'élève à l'École est ainsi en relation avec le rapport de l'élève à la culture, à ce qui présente pour lui une signification au quotidien et dont on devine des variations fortes selon les élèves.

 

Ensuite, la culture est distribuée à l'École à travers des disciplines scolaires : les mathématiques, les langues vivantes, la musique, la technologie... Le rapport au savoir mériterait dans ce cas d'être écrit sous une tonne plurielle : « rapports aux savoirs ». Ainsi pour un élève le rapport au savoir mathématique n'est pas le même que le rapport au savoir en grammaire ou en histoire. En mathématiques même, le rapport à l'algèbre est distinct du rapport à la géométrie ou du rapport à la trigonométrie. En français, le rapport à l'orthographe se différencie du rapport à la lecture. (... ) On ne parle plus dans ce cas de rapport au savoir, mais de rapport aux savoirs. »

 

Qu 'est-ce que "le rapport à " ?

« Le rapport de l'élève au savoir induit que quelque chose de lâche, de non prémédité, de flottant existe entre l'élève et le savoir. L'idée de « rapport à... » renvoie à un processus vraisemblablement non conscient, non prémédité, non voulu entre les deux entités que sont une personne et le savoir. [il est nécessaire de] différencier les termes de relation et de rapport, le premier plus objectivable, le second plus indéfini (J. Beillerot) (...). B. Charlot considère quant à lui, d'une part, que ce qui s'exprime dans le rapport au savoir c'est l'identité même de l'individu constituée par une « constellation de repères, de pratiques, de mobiles et de buts engagés dans le temps », et d'autre part, qu'il est pertinent et légitime de parler de rapport au savoir d'un groupe car le rapport au savoir d'une personne émerge du rapport au savoir du (ou des) groupes auxquels il appartient (sa famille, son milieu social). »

 

Trois éclairages à travers les outils de la psychologie, de la sociologie et de l'épistémologie. La psychologie :

« Le savoir doit avoir un sens pour l'individu afin qu'il se l'approprie (le contraire de ce qui se passe lorsqu'on dit d'un enfant qu'il n'apprend pas parce qû « il n'a pas envie de savoir »).

La psychanalyse parle de rapport au savoir comme d'une relation d'objet(... ). Dès la naissance, la connaissance est donc la seule possibilité pour l'enfant d'exister car elle lui permet de se différencier e se mettant à distance de son environnement.(... ) Accepter de savoir, c'est accep ter de désirer savoir. Nous verrons que la psychologie nous renseigne sur le rapport au savoir d'un élève à la condition de nous centrer sur la dimension fantasmatique que ce savoir lui évoque. »

 

La sociologie, en tant que discipline concernée par les phénomènes de groupe

 

« Il ne faut jamais oublier que le rapport au savoir de l'élève à ]'École tire ses origines du rapport au savoir qu'il a vécu antérieurement, dans sa famille notamment. Or, toutes les familles ne vivent pas avec le savoir un rapport identique. II est des familles qui fuient le savoir, considéré par elles comme relevant d'une autre culture que la leur et qu'il convient d'éviter afin de conserver son identité. II est des familles qui cherchent à accaparer le savoir dans le but de se particulariser et de se distinguer d'autres milieux. Il est des familles qui ni ne fuient ni ne tentent de monopoliser le savoir. Elles cherchent seulement à l'apprivoiser quand il leur est utile pour agir ; le savoir, oui, mais à condition

qu'il soit fonctionnel, qu'il serve à quelque chose. II est donc des familles qui consomment avec boulimie du savoir alors que d'autres en sont anorexiques et d'autres gourmets. »

 

L'épistémologie scolaire. réflexion sur les savoirs enseignés à l'École dans le but d'en expliciter les fondements, les méthodes. les conclusions : voici quelques questions d 'épistémologie scolaire

« « Quelles sont les trois idées clés d'un programme d'histoire en 6°? », « Les méthodes du biologiste diffèrent-elles de celles du géographe ? », « Quelles sont les principales théories en économie ? », « En quoi la technologie diffère-t-elle des sciences physiques ? », « La médecine est-elle une science ? » Les raisons pour lesquelles un même élève accroche plus à la biologie qu'à la géographie tiennent ainsi à la nature particulière de ces savoirs. Nous avons parlé dans ce cas de rapports aux savoirs pour préciser la variété de ceux-ci. »

 

Rapport aux savoirs et psychologie :

On trouve ici des remarques en terme de être bon / être nul en..., de compréhension / incompréhension, des analyses de mécanismes cognitifs plus qu 'affectifs. Or pour comprendre les maths, la géo ou l'histoire de l 'art, il ne faut pas seulement les comprendre, il faut aussi les aimer.

« On vit avec le savoir une relation affective et pas seulement cognitive ». L'affectif ne joue pas qu'un rôle inhibiteur ou facilitateur de l'apprentissage:

«Nous dirons et chercherons à expliquer que le rapport au savoir peut se comprendre par les pulsions qui nous animent et par les fantasmes que ces dernières génèrent. Les pulsions sont ce qui nous pousse à agir, qui a pour origine notre psychisme et que nous ne maîtrisons pas. Quatre attributs expliquent la pulsion : la poussée, le but, la source et l'objet.

La poussée est l'aspect dynamique, le moteur de la pulsion. On observe par exemple des élèves qui, à l'égard de certaines parties d'une discipline scolaire, expriment une poussée d'intérêt, alors que d'autres éprouvent dans les mêmes circonstances une poussée de passivité. Le but de la pulsion est ce vers quoi elle tend. Certains élèves se donnent pour but de savoir, afin d'apparaître comme de bons enfants aux yeux de leurs parents, alors que d'autres, avec le même but, cherchent avant tout à accéder à une autre position sociale que celle de leur milieu d'origine, à s'en différencier donc. La source de la pulsion est ce qui la déclenche. L'objet de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but. La note, l'appréciation des enseignants constituent autant d'objets pour l'expression de la pulsion de savoir.

On observe chez certains élèves (trop peu nombreux sans doute) une pulsion pour la lecture qui leur fait dévorer tout ce qui leur tombe sous la main. Le but de la pulsion peut être l'évasion du quotidien que permet la lecture ou la possibilité de parvenir à se mieux connaître en s'identifiant à des personnages, ou la possibilité de briller en montrant ses connaissances. La source est peut-être l'ennui, la peur de soi, l'amour de soi, le besoin de briller... L'objet est la lecture, la source le livre. Pas de déterminisme donc. Chacun aime lire, ou déteste lire, ou n'aime lire que telle catégorie d'ouvrage, pour des raisons chaque fois particulières. »

« L'enseignant n'est pas un analyste. La classe n'est pas un lieu de thérapie. Le maître n'a pas la compétence et ne doit pas avoir le projet de jouer à l'apprenti psychologue. Et pourtant la classe peut être l'occasion d'aider l'élève à prendre de la distance à l'égard des savoirs enseignés et de se rendre attentif au rapport qu'il vit à l'égard des savoirs scolaires. »

 

Rapport aux savoirs et sociologie :

 

« Il convient de toujours se souvenir que les élèves vivent un certain rapport au savoir dans leur milieu familial avant d'être en contact avec le savoir scolaire.

Le rapport au savoir vécu dans la famille inclut au moins trois réalités.

1. La manière dont les familles développent des stratégies d'attente vis-à-vis de l'École ; attend-on quelque chose et quoi de cette institution, met-on en place des stratégies, lesquelles ?

2. La manière dont les familles vivent un certain rapport à l'égard du savoir dispensé par d'autres instances que l'École, telles le musée, la télévision, le cinéma, la lecture, la discussion en général. La nature des émissions regardées à la télévision et la manière dont on en discute on non, la visite de musées, tout autant que la pratique du bricolage, du jardinage, constituent autant d'occasions de se positionner en consommateur, en producteur, en inventeur de savoirs à son niveau de pratiques.

3. Le rapport au savoir dans la famille n'est pas sans relations avec le rapport au savoir du groupe social auquel s'identifie la famille. Comment, par exemple, se transforme le rapport au savoir dans une famille ouvrière dont le père accède au fil du temps au statut de cadre dans une entreprise '? Comment, écrit B. Charlot. se transforme le rapport au savoir de paysans maghrébins devenant ouvriers dans une usine d'automobiles de la région parisienne, comment aussi se transforme le rapport au savoir de leurs femmes déportées de la campagne marocaine dans une cité de banlieue ? Mais aussi comment se transforme le rapport au savoir dans une famille dans laquelle une promotion par les cours du soir permet à un parent de changer de statut social ?

 

Le concept qui permet de lire les rapports de l'enfant à la famille est celui d'identification et non pas de détermination. L'enfant n'est pas surdéterminé par ce qu'il vit dans sa famille. Il lui est possible d'échapper aux désirs, idéaux, destins que sa famille lui attribue. Ainsi le destin des élèves dont le milieu familial semblait ne pas les prédisposer à un investissement et à une réussite scolaire sont-ils extrêmement intéressants à comprendre. Généralement ils montrent que « Pour accepter de changer, et donc d'avoir une histoire, il faut accepter de ne pas se perdre, de pouvoir conjuguer permanence et changement. Pour que l'enfant ou l'adolescent puisse réussir à désirer cette différence de soi à soi que signifie tout changement, pour qu'il accepte ce risque, il faut que se préserve une relation de continuité entre ce qu'il a été et ce qu'il est. » (B. Charlot, 1988).

Le rapport au savoir de l'enfant se construit donc de manière identificatoire dans l'attente, ou la non­attente que développe la famille par rapport à fÉcole. (... )

 

Intervient aussi le rapport au savoir des familles à travers les divers médias écrits, sonores ou audiovisuels, ou visuels. La place et la nature des livres à la maison, les incitations à la lecture dans le milieu familial et à travers la fréquentation des bibliothèques, les éventuelles visites de musée, les pro­grammes télévisuels ou radiophoniques vus, entendus et le cas échéant discutés, la présence de journaux, hebdomadaires, revues diverses déterminent un certain rapport au savoir dans le cadre fami­lial. Mais les pratiques domestiques de jardinage, de bricolage, de cuisine, de réparation et le maintien du matériel technique, organisent aussi un rapport au savoir et renvoient à des identifications parentales diverses, avons-nous déjà affirmé. Reprenant Pierre Bourdieu (1985), on pourrait distinguer aux deux extrêmes d'un gradient, des familles dans lesquelles le rapport au savoir est un rapport d'usage et des familles dans lesquelles il est un rapport de distinction. Dans les premières, le savoir permet de faire. On cherche à savoir pour agir. Dans les secondes, le savoir permet de se distinguer. On cherche à savoir pour montrer que l'on sait. Et si l'on ne sait rien à propos de quelque chose dont on parle, on peut avoir suffisamment confiance en soi ou suffisamment d'aplomb pour donner le sentiment qu'on sait tout ou presque sur le sujet. Peu importe de connaître, pourvu qu'on puisse donner l'impression de savoir. Entre ces deux pôles existent des familles qui sont en attente de réussite sociale pour leurs enfants et qui, bien que vivant avec le savoir un rapport d'usage, généralement, s'occupent des enfants, leur font réciter les leçons, et montrent ainsi des attentes qui incitent les enfants à la réussite.

 

Il existe encore de nombreuses attitudes familiales comme celle, que privilégie l'École sans le dire, d'entretenir avec le savoir un rapport de gratuité intime. On ne cherche pas à montrer qu'on sait. On aime savoir par plaisir personnel de comprendre les réalités du monde.

 

Le savoir est dans la réalité une tentative pour expliquer les choses, les hommes et leurs interrelations. Mais dans l'imaginaire et le symbolique, il est -ce qui permet de faire, d'espérer être, de paraître. Le rapport au savoir est ainsi chargé de tous les symboles qui opèrent dans le rapport du sujet avec ce qui l'entoure. Les comportements familiaux, dans leur rapport au savoir, sont autant des attitudes relatives aux savoirs en tant que contenus d'explication du monde, que des attitudes ayant trait à des principes éducatifs, des valeurs, à un rapport au monde et aux autres. Ainsi le rapport au savoir dans la famille traduit l'existence plus généralement d'un modèle éducatif dont Daniel Gayet (1995) propose qu'il peut être circonscrit à quatre stratégies évoluant dans une matrice, entre, d'une part, un axe avec deux pôles, un pôle coopératif (altruiste, démocratique) et un pôle compétitif (individualiste et élitiste), et d'autre part, un axe avec un pôle centrifuge (anxiogène, tolérant mal une échappée à leur surveillance) et un pôle centripète (inconscient parfois qui rejette les enfants hors de leur vue) Cet auteur en vient à distinguer quatre stratégies éducatives : libérale (pôle compétitif et

centrifuge), libertaire (pôle coopératif et centrifuge), fermée (pôle compétitif et centripète), populaire (pôle coopératif et centripète). La plus adaptée de ces stratégies aux exigences scolaires est pour cet auteur la stratégie libérale. »

 

Rapport aux savoir et épistémologie : " l'épistémologie se définit comme une réflexion critique sur les principes, les méthodes et les conclusions d'une science (...) Entendre par science un corps de savoirs constitués. "

Le questionnement historique et sociologique permet de s'interroger sur les conditions d'émergence et d'évolution des disciplines scolaires.(... )

Par exemple, il montrerait en français au lycée la succession et la juxtaposition de paradigmes tels que l'histoire littéraire, la lecture de textes, l'expression et la communication, le développement de la capacité d'argumenter.(...) Ces évolutions des disciplines d'enseignement doivent être mises en relation avec les idées philosophiques, les conceptions de l'apprentissage d'une époque déterminée, afin de comprendre les origines et d'expliquer le sens de ces évolutions. Le travail est passionnant qui inscrit une discipline d'enseignement comme un savoir vivant qui naît, grandit, se transforme et meurt parfois, sous la dépendance de rapports de force liés aux divers groupes de pression qui pensent avoir leur mot à dire sur les savoirs à enseigner. C'est la raison pour laquelle nous parlons de regard historico-sociologique. D'autres parlent de sociologie du curriculum.

L'analyse logique des disciplines demande de considérer ce qui est considéré comme vrai pour une discipline donnée ; on distingue trois types de disciplines dans cette perspective : des formelles, des empirico formelles et des herméneutiques :

Les disciplines formelles, essentiellement les mathématiques, à travers l'arithmétique, l'algèbre, la géométrie, la trigonométrie, les probabilités, ont pour objet l'étude des u idéaux » mathématiques qui n'existent pas dans la nature, conséquence qu'ils sont d'une construction de l'homme(...)

Les disciplines empirico-formelles comme les sciences physiques, les sciences de la vie et de la terre, la technologie ont pour objet des réalités qui, à la différence des sciences formelles, ne sont pas des constructions de l'homme, mais qui lui préexistent. Expliquer le vivant ou la matière, les origines de la terre ou de l'univers pour en percer les secrets, c'est toujours travailler à partir d'objets qui n'ont pas été construits par l'homme et qui lui préexistent. Par ailleurs, les sciences empirico-formelles ne peuvent pas se contenter de démontrer la validité de leurs idées par un raisonnement, quelle que soit sa rigueur. Il leur faut, par l'expérience, vérifier la validité de ce dernier(...)

qu'elle sont formelles parce qu'elles visent à anathématiser leurs résultats, comme les mathématiques).

 

Les disciplines herméneutiques, comme l'histoire, la poésie, les arts ou la psychologie clinique sont davantage intéressées à comprendre qu'à expliquer. (...) La compréhension précède l'explication, laquelle nécessite une attitude d'extériorité vis-à-vis d'une réalité au regard de laquelle j'ai antérieu­rement vécu un rapport d'intériorité. Dans les objets des disciplines herméneutiques l'homme est toujours présent. La méthode nécessaire pour répondre aux questions qui sont du ressort de ces disciplines est clinique plus qu'expérimentale.

 

Ainsi jauger les disciplines scolaires, c'est comprendre ce qui les particularise, pas seulement en termes de contenus, mais aussi en termes de rapport au vrai, de rapport à ce qui est logique dans une discipline donnée.

 

L'analyse didactique décompose la nature des disciplines scolaires en termes de matrice disciplinaire décomposable en termes d'objets, de tâches, de connaissances déclaratives et de connaissances procédurales.

Les objets d'une discipline désignent les matériaux utilisés en vue de son enseignement. Certains matériaux n'ont qu'une existence scolaire tels les livres de textes choisis, les livres d'exercice, certains objets utilisés dans les enseignements scientifiques (table à coussin d'air en physique ... ).

 

Les connaissances déclaratives sont de l'ordre du discours. Une règle de grammaire, une définition de géographie, une loi de physique, un théorème en mathématiques en sont des illustrations. Ces connaissances déclaratives peuvent être elles-mêmes particularisées en faits et notions, registre de conceptualisation, concepts intégrateurs et champ notionnel.

Une discipline est constituée de faits, éléments particuliers opposables aux notions( ...).Un fait donné est enseigné à un registre de conceptualisation donné. (... ) Les concepts intégrateurs sont les notions qui, pour une discipline déterminée, à niveau d'enseignement donné, intègrent l'ensemble des notions à enseigner. Ces concepts intégrateurs permettent de distinguer l'essentiel de la structure d'une discipline de ce qui est accessoire. Le champ notionnel correspond à l'ensemble des notions et de leurs interrelations qu'il convient de maîtriser pour assimiler une notion donnée. Ainsi entrevoit-on le champ notionnel lorsqu'on se livre à l'inventaire des notions qui, articulées les unes aux autres, don­nent corps à cette notion. Le champ notionnel de la notion de civilisation regroupe entre autres les notions de société, de religion, de science de techniques, de morale. La notion de société regroupe. elle, dans son champ notionnel, entre autres les notions de classe sociale et de pouvoirs politiques. Et on pourrait à son tour dissocier la notion de classe sociale, etc.

 

Les connaissances procédurales sont de l'ordre des savoir-faire.(... ) Une des questions clés des apprentissages scolaires est de comprendre comment s'opère chez les élèves le passage des connaissances procédurales en connaissances déclaratives et vice versa.

 

Une tâche est un but à atteindre dans des conditions déterminées. Résoudre un problème en mathématiques est une tâche, comme écrire une dissertation en français ou arbitrer un match en EPS. On constatera que certaines disciplines sont caractérisées autant par des tâches que par des connaissances déclaratives (le français). Pour d'autres. c'est l'inverse, les connaissances déclaratives semblent prendre le pas sur les tâches (l'histoire).

La matrice disciplinaire correspond au critère d'intelligibilité de la discipline. Hier la matrice disciplinaire de l'enseignement du français relevait de la littérature, puis elle a correspondu à la compréhension de la langue. Aujourd'hui elle se centre sans doute sur la compréhension de la spécificité des formes d'écrits (distinguer un texte narratif, un texte argumentatif, un texte explicatif.). La matrice disciplinaire correspond à la structure d'une discipline. Elle évolue alors que les disciplines conservent le même intitulé.

 

Les rapports aux savoirs de l'élève dans leur dimension épistémologique

Une des grandes différences qui existent entre l'élève et l'enseignant est que ce dernier possède (en principe) les clés des disciplines dont il a la charge. Lorsque l'année scolaire débute, l'enseignant est capable de préciser quelles sont les trois idées essentielles que ses élèves devront avoir retenues en fin d'année. Les élèves sont dans l'attitude inverse qui va être, dans le meilleur des cas, d'identifier ces trois idées. Le rapport des élèves aux savoirs scolaires réside dans la compréhension des enjeux disciplinaires qui leur sont enseignés. De sorte que posséder des savoirs de haut niveau pour les enseignants, c'est d'abord être capable de regarder les savoirs enseignés, de haut.