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L'évaluation entre deux logiques. Au service de la sélection? Ou au service des apprentissages? Ce qui se joue aujourd'hui. p.13: "L'évaluation formative prend tout son sens dans le cadre d'une stratégie pédagogique de lutte contre l'échec et les inégalités qui est loin d'être mise en oeuvre partout avec cohérence et continuité. (...) La recherche privilégie désormais une voie médiane entre l'intuition et ('instrumentation, et réhabilite la subjectivité." p.14: "Un jour ou l'autre, les systèmes éducatifs seront au pied du mur: ou ils persisteront à s'accrocher au passé en tenant un discours d'avant-garde; ou ils franchiront le pas et s'orienteront vers un avenir où importeront moins les hiérarchies d'excellence que les compétences réelles du plus grand nombre." p.14-15-16: "Nous vivons une période de transition(...) Incontestablement, la logique formative a pris de l'importance. (...) De quel côté l'avenir fera-t-il pencher la balance? Nul ne le sait. II n'est pas temps de conclure, seulement de travailler à faire co-exister et s'articuler deux logiques d'évaluation. L'enjeu n'est pas seulement de retarder et d'adoucir la sélection. L'évaluation traditionnelle, non contente de fabriquer de l'échec, appauvrit les apprentissages et induit des didactiques conservatrices chez les enseignants, des stratégies utilitaristes chez les élèves. L'évaluation formative participe du renouveau global de la pédagogie, de la centration sur l'apprenant, de la mutation du métier d'enseignant: jadis dispensateur de cours et de leçons, le professeur devient le créateur de situations d'apprentissages "porteuses de sens et de régulation". Les résistances ne touchent donc pas uniquement à la sauvegarde des élites. Elles se situent de plus en plus dans le registre des pratiques pédagogiques, du métier d'enseignant et du métier d'élève!" p. 36: Réussite et échec sont des représentations. "Les hiérarchies d'excellence scolaire, des plus formelles aux plus intuitives, ne sont que des représentations. Ce ne sont pas, cependant, des représentations quelconques: elles font foi, elles passent pour une image légitime d'inégalités bien réelles de connaissances ou de compétences. Toute hiérarchie tient sa légitimité de la méconnaissance relative de l'arbitraire de son mode de fabrication. Les hiérarchies d'excellence scolaire auraient moins de poids, pendant la scolarité et au-delà, si les principaux intéressés doutaient de 1a réalité des inégalités qu'elle prétendent "refléter", ni plus, ni moins." "Réussite et échec scolaires ne sont pas des concepts "scientifiques". Ce sont des notions utilisées par les acteurs, élèves, parents, gens d'école. Or, ils ne sont pas toujours d'accord entre eux: la notion de réussite est extrêmement polysémique." p. 37: "ha réussite scolaire est une appréciation globale et institutionnelle des acquis de l'élève, que l'école fabrique par ses propres moyens, en un point donné du cursus, puis qu'elle présente sinon comme une vérité unique, du moins comme la seule légitime dès lors qu'il s'agit de prendre une décision de redoublement, d'orientation de sélection ou de certification." p. 44-45: "(...) si l'on examine de plus près la nature des tâches assignées aux élèves, on s'aperçoit qu'ils v investissent non seulement de véritables compétences, mais diverses stratégies et habiletés leur permettant de survivre dans le système. Ce qui amène à une question plus générale: qu'y a-t-il sous l'excellence scolaire ?" "Jusqu'à la fin des études obligatoires, et même au-delà, nul ne peut être certain qu'un défaut d'excellence scolaire manifeste un véritable manque de compétence, et encore moins une réelle "inaptitude à apprendre". p. 47-48: "Les compétences qui se cachent "sous" l'excellence scolaire ne sont pas aussi limpides que l'école voudrait le croire. Loin de faire appel à une compréhension profonde, l'excellence est souvent affaire de conformisme ou d'habitudes. (...) Dans ses aspects les plus minutieux, les plus liés à l'observance scrupuleuse d'une orthodoxie, l'excellence scolaire valorise des tendances un peu maniaques au moins autant que l'intelligence ou la culture générale." "L'excellence scolaire est, dans une très large mesure, l'art de refaire ce qui vient d'être exercé en classe. Ce qui contribue à accroître le poids des indices superficiels, par exemple la typographie, la mise en page, le vocabulaire familier des consignes." p.49: "(...) il faut ajouter toutes les compétences stratégiques acquises par la pratique des situations d'évaluation: savoir esquiver ou solliciter l'interrogation, orienter les questions, obtenir des indices, une aide, un peu plus de temps (...) Ces savoir-faire stratégiques exigent certaines compétences intellectuelles générales, mais ils sont extrêmement liés aux situations d'évaluation scolaire et n'ont guère d'intérêt au-delà." "Faute de pouvoir ou de vouloir placer les élèves dans des situations où ils devraient mobiliser ce qu'ils savent pour résoudre de "vrais" problèmes, l'école invente des problèmes à résoudre "sur le papier". (...) Pour attester de leurs savoirs, les élèves sont invités soit à en faire étalage en "racontant ce qu'ils savent", figure classique de l'interrogation orale, soit à répondre à des questions qui n'ont d'autre sens que de les obliger a manifester leurs connaissances, sous peine de recevoir une mauvaise note. L'élève est jugé, soit sur l'expression directe du savoir, soit sur sa manifestation dans des tâches papier-crayon très artificielles et stéréotypées. (...) L'oral de baccalauréat en est l'illustration consacrée: l'essentiel est de paraître instruit." p.50: "Les ressources expressives les plus générales qui permettent de faire valoir toutes sortes de savoirs et savoir-faire, font partie du capital culturel et linguistique du sujet, qu'il ait été acquis à l'école ou en dehors (Bourdieu, 1996, Bourdieu et Passeron, 1970, Bernstein, 1975)." p. 50-57: "Dans la mesure où l'excellence scolaire est fortement liée aux conditions spécifiques du travail et de l'exercice scolaires, elle n'exige pas toujours, loin de là, la compréhension des mécanismes logiques, scientifiques, linguistiques que les plans d'études modernes et les taxonomies d'objectifs mettent désormais au premier plan. Un "bon élève" sait parfaitement identifier le type de tâches et se servir d'indices superficiels tout à fait étrangers à la compétence que l'enseignant croit évaluer. (...) C'est pourquoi, placés devant une tâche qui se présente de façon inhabituelle, certains élèves d'ordinaire moyens, voire excellents, sont complètement démunis, privés qu'ils sont de leurs indices familiers." p. 57: "(...) l'analyse du travail scolaire suggère que beaucoup de facettes de l'excellence scolaire ne reposent pas sur des apprentissages intellectuellement très exigeants, mais plutôt sur des apprentissages méthodiques, astreignants, "scolaires" avec ce que cela implique de conformisme, de persévérance, de résistance à l'ennui." p. 53: "Il importe (...) de prendre en considération, dans toute sa complexité, le processus de fabrication des hiérarchies d'excellence et des jugements de réussite, donc aussi la nature exacte des ressources et des compétences mises en oeuvre dans les situations d'évaluation. Aussi longtemps qu'on ne sait pas de quoi est faite l'excellence scolaire, et qu'on l'assimile à la maîtrise des programmes, on ne peut que formuler des hypothèses abstraites, voire absurdes, sur les causes de l'échec scolaire." p. 60-61-62: "Même lorsque les buts sont tout à fait clairs, les contenus et les procédures d'évaluation adoptés ne sont pas nécessairement la façon optimale, la plus efficace ou la plus rationnelle de les atteindre." "Cardinet (1977) distingue trois principales fonctions de l'évaluation: régulation, certification et prédiction." Exemple de l'orientation scolaire et de la fonction prédicitive de l'évaluation: "1. Dans beaucoup de systèmes scolaires, les instances d'orientation s'inscrivent certes dans une logique prédictive, mais sur une base plutôt intuitive et artisanale, sans qu'on essaie de clarifier exactement ce qu'on entend par orientation, ce qu'on veut prévoir, sur quoi on se fonde pour le prévoir, la nature des risques encourus( ...). Assez souvent, il s'agit globalement de savoir si un élève "est fait pour" telle ou telle section, sans qu'on se préoccupe nécessairement d'expliciter et d'analyser ce qu'on entend par là. (...) 2. Même si l'on était tout à fait au clair sur la logique prédictive, il resterait à identifier ce qui est déterminant dans l'adaptation et la réussite scolaires dans telle filière du secondaire, par exemple. Ce qui supposerait, non seulement une bonne information sur les contenus et les exigences de chaque filière, mais une connaissance des causes de la réussite ou de l'échec, de l'intérêt ou de l'ennui, de la motivation à continuer ou de l'envie d'abandonner. Or, nous n'avons souvent, à ce sujet, que des connaissances fragmentaires, intuitives ou déjà dépassées par l'évolution des programmes ou des publics scolarisés.. (...) 3. Se trouverait-on dans une pure logique prédictive, s'efforcerait-on d'observer et d'évaluer exactement ce qui est déterminant pour l'avenir de l'élève dans telle ou telle structure scolaire (à supposer qu'on le sache...), qu'il faudrait de toute façon composer avec la réalité, notamment avec le fait que l'évaluation n'est pas une opération instantanée, qu'elle prend du temps, qu'elle suppose un travail d'élaboration d'instruments, d'administration d'épreuves, de codification et d'interprétation des résultats. On sera donc toujours pris entre deux feux: d'un côté, mesurer de façon assez précise et complète ce qui pourrait fonder une décision raisonnable, de l'autre, faire avec des ressources limitées. Ce qui amènera, notamment, à tenir compte des informations d'ores et déjà disponibles. Avec une conséquence essentielle: dans un degré dit d'orientation, les enseignants évaluent pour toutes sortes de raisons, et non seulement pour fonder une décision d'orientation. Ils évaluent pour gérer la progression dans le programme, pour motiver les élèves, pour maintenir l'ordre, pour informer les parents et l'administration, pour certifier les acquis de l'année et donc garantir le droit à une promotion. Au cours de l'année d'orientation, l'évaluation est polyvalente; les mêmes informations doivent servir à des fins très différentes. En toute rigueur, on ne devrait pas recueillir les mêmes informations ou les traiter de la même façon si l'on vise une évaluation: - formative, qui est une régulation de l'action pédagogique; - sommative ou certificative, qui fait le bilan des acquis; - prédictive, qui fonde une orientation; - incitative, dont le propos est de mettre les élèves au travail; - répressive, qui prévient ou contient d'éventuels débordements; - ou encore informative, destinée, par exemple, aux parents. En pratique, l'école ne ménage pas des moments distincts d'évaluation, correspondants à des fonctions différentes et faisant appel à des instruments spécifiques. Faute notamment de trouver le temps voulu pour toutes ces prises d'information en conservant quelques heures pour l'enseignement... 4. La fabrication même de l'évaluation est sujette à toutes sortes de contraintes et d'aléas techniques et psychologiques. Même si l'on était sûr qu'une épreuve commune de mathématiques est un bon prédicteur de la réussite dans telle filière, il resterait à en choisir le contenu exact. Sans oublier que la façon dont l'épreuve sera fabriquée, administrée, corrigée sera peut-être aussi déterminante que son contenu. On touche là à tous les problèmes connus de la validité, de fidélité, de généralisabilité de la mesure en pédagogie (Cardinet, 1986; De Landsheere, 19ô0). Parmi tous les facteurs d'erreurs, mentionnons, parce qu'il est massif lorsque l'orientation repose partiellement sur les notes des enseignants et non sur des épreuves standardisées ou des examens, la diversité des niveaux d'exigences et des définitions mêmes de l'excellence scolaire d'un maître à l'autre. Même si tous les enseignants attribuent une note de mathématique, de français ou d'allemand, ce qu'ils mettent "sous cette note" n'a pas de réelle homogénéité (Grisay, 1982, 1984, 1988). p. 62-63: "(...) l'évaluation est toujours beaucoup plus qu'une mesure. C'est une représentation, construite par quelqu'un, de la valeur scolaire ou intellectuelle de quelqu'un d'autre. Elle s'inscrit donc dans un rapport social spécifique, qui lie un évaluateur et un évalué. En réalité, ce rapport lie en général plus que deux personnes, puisque l'évaluateur est l'agent d'une organisation complexe, au nom de laquelle il évalue, alors que l'élève fait partie d'un groupe-classe et appartient à une famille, ces deux groupes étant, à des titres différents, concernés par l'évaluation de leurs membres. Dire que l'évaluation s'inscrit dans un rapport social est une façon de dire qu'on ne peut pas faire abstraction de l'ensemble des liens qui existent entre l'évaluateur et l'évalué et, à travers eux, entre les groupes d'appartenance respectifs. C'est dire aussi que l'évaluation doit être concçue comme un jeu stratégique, entre des acteurs qui ont des intérêts distincts, voire opposés." p. 70: "La mobilité sociale est, dans notre société, analysable comme un verre à moitié vide ou à moitié plein, selon ce qu'on veut démontrer. II est certain que l'égalité des chances n'existe pas - voire que les écarts s'aggravent entre les plus favorisés et les plus démunis -, mais évident aussi que chacun n'est plus enfermé à vie dans sa condition et que l'école est la première chance de "sortir" de sa classe d'origine pour "monter plus haut que sa famille", espoirs qu'entretiennent pratiquement tous les parents, à l'exception de ceux qui, déjà situés au plus haut de l'échelle, ne peuvent qu rêver de maintenir et transmettre leurs privilèges." p.70-71: "11 serait donc bien sot d'imaginer que l'orientation est avant tout une affaire d'évaluation objective de l'excellence scolaire, donc des chances de réussite de l'élève dans telle ou telle filière. Disons plutôt: - que pour une part, l'évaluation des résultats et des chances se situe du côté du principe de réalité, qu'elle apporte des éléments difficiles à ignorer et qui peuvent, selon les cas, nourrir ou briser des rêves ou des peurs; - qu'elle est, pour cette raison même, l'objet non seulement de fantasmes, mais de manoeuvres actives pour l'infléchir, ou du moins en infléchir l'interprétation et les conséquences. Dès lors qu'elle a partie liée avec la sélection et l'orientation - c'est-à-dire presque tout le temps - l'évaluation scolaire est fortement surdéterminée par ses conséquences possibles ou souhaitables. Loin d'être une vérité indépendante et première, dont on tirerait les leçons, elle est parfois sollicitée pour offrir une légitimité méritocratique à des décisions qui, de fait, la précèdent et l'influencent..." p. 73: Titre du chapitre 4: Les procédures ordinaires d'évaluation, freins au changement des pratiques pédagogiques p. 74-75: "Le trait constant de ces pratiques (celles du modèle général d'évaluation, même avec ses multiples variantes) est de soumettre régulièrement l'ensemble des élèves à des épreuves, qui mettent en évidence une distribution des performances, donc de bonnes et de mauvaises performances, sinon de bons et de mauvais élèves. On dit parfois que cette évaluation est normative, au sens où elle fabrique une distribution normale, ou courbe de Gauss. Elle est aussi comparative: les performances des uns se définissent par rapport aux performances des autres plutôt qu'à des maîtrises attendues ou à des objectifs. C'est aussi une évaluation très peu individualisée (la même pour tous au même moment, selon le principe de l'examen), mais où chacun est évalué séparément, pour une performance censée refléter ses compétences personnelles. Cette description ne convient pas au même degré à tous les systèmes scolaires. Certains ont déjà rompu, au moins partiellement, avec ce mode d'évaluation, pour se tourner vers une évaluation plus descriptive, critériée, formative. L'analyse de ces systèmes montre qu'en faisant sauter le verrou de l'évaluation traditionnelle, on facilite la transformation des pratiques d'enseignement vers des pédagogies plus ouvertes, actives, individualisées, faisant davantage de place à la découverte, à la recherche, aux projets, honorant mieux les objectifs de haut niveau, tels qu'apprendre à apprendre, à créer, à imaginer, à communiquer." p. 75: "En quoi, et pourquoi, les procédures d'évaluation encore en vigueur dans la majorité des écoles du monde, font-elles obstacle à l'innovation pédagogique? (7 mécanismes complémentaires) ° L'évaluation absorbe souvent la meilleure part de l'énergie des élèves et des enseignants, et n'en laisse donc guère pour innover. ° Le système d'évaluation classique favorise un rapport utilitariste au savoir. Les élèves travaillent "pour la note"; toutes les tentatives d'implantation de pédagogies nouvelles se heurtent à ce minimalisme. ° Le système d'évaluation traditionnel participe d'une sorte de chantage, d'un rapport de force plus ou moins explicite, qui place enseignants et élèves, et plus généralement, jeunes et adultes, dans des camps opposés, empêchant leur coopération. ° La nécessité de mettre régulièrement des notes ou des appréciations qualitatives sur la base d'une évaluation standardisée favorise une transposition didactique conservatrice. ° Le travail scolaire tend à privilégier des activités fermées, structurées, bien rodées, qui peuvent être reprises dans le cadre d'une évaluation classique. ° Le système d'évaluation classique force les enseignants à préférer les connaissances isolables et chiffrables aux compétences de haut niveau (raisonnement, communication), difficiles à enfermer dans une épreuve papier-crayon et des tâches individuelles. ° Sous des dehors d'exactitude, l'évaluation traditionnelle cache un grand arbitraire, difficile à concerter dans une équipe pédagogique: comment s'entendre quand on ne sait ni expliciter, ni justifier, ce qu'on évalue vraiment ?" p.77: "En définitive, l'évaluation scande le temps scolaire d'une façon peu compatible avec les rythmes de l'innovation. Relativement mal vécue, apparemment incompressible, elle pousse beaucoup d'enseignants et d'élèves à un fonctionnement en dents de scie, alternance entre stress et détente, ni l'un ni l'autre n'étant favorables à la transformations des pratiques pédagogiques. Dans l'enseignement secondaire, le fractionnement du temps, tant pour les élèves que pour les enseignants, accentue considérablement le sentiment de stress. Une évaluation plus formative ne prend pas moins de temps, mais elle donne des informations, identifie et explique des erreurs, suggère des interprétations quant aux stratégies et attitudes des élèves, et donc alimente directement l'action pédagogique, alors que le temps et l'énergie voués à l'évaluation traditionnelle sont distraits de l'invention didactique et de l'innovation." p.77 "Un rapport perverti au savoir Les choses étant ce qu'elles sont, il faut avoir de bonnes notes (ou leur équivalent qualitatif) pour progresser dans sa carrière scolaire et accéder aux filières les plus enviées. En principe, les notes sont là pour évaluer des compétences réelles. Elles commandent l'accès au degré suivant ou à des filières émergeantes, parce qu'elles sont censées garantir un niveau suffisant d'acquisition. En pratique, c'est le résultat qui compte. Avec des effets pervers bien connus: le bachotage et la tricherie." p.78: "Le bachotage est une façon honnête, mais idiote, de se rendre capable d'une "performance d'un jour". II ne construit pas une véritable compétence, mais permet de faire illusion, le temps d'une épreuve écrite ou d'une interrogation orale. (...) Le métier d'élève (Merle, 7996; Perrenoud, 1996) habitue à asseoir quelques bases, puis à "en mettre un coup" juste avant l'épreuve ou l'examen, pour s'empresser d'oublier, dès le lendemain, ce qui aura été mémorisé ou exercé de la sorte, dans des conditions de stress peu favorables à un rapport serein au savoir. L'autre stratégie, moins honnête, c'est la tricherie, élevée au rang des beaux-arts, voire de l'industrie, dans certains établissements ou certaines classes. Là, les élèves apprennent que l'important est de donner une réponse juste, peu importent les moyens de la trouver. Je ne voudrais pas réduire l'effet du système d'évaluation au bachotage et à la tricherie. Même si ces deux perversions disparaissaient, le système de notation conserverait un effet majeur sur le rapport au savoir: lorsque le piège scolaire (Berthelot, 1983) se referme, il est normal que chacun cherche à s'en tirer le mieux possible; pour cela, le réalisme commande non pas d'apprendre pour le plaisir, de s'intéresser à la réalité, de se poser des questions, de réfléchir, mais d'être prêt le jour de l'épreuve décisive. Même s'il n'y a pas bachotage, il y a appauvrissement des démarches intellectuelles, de la curiosité, de la créativité, de l'originalité au profit de "ce qui paye", autrement dit de ce qui peut être converti en notes honorables. Le système d'évaluation classique favorise un rapport utilitariste, voire cynique au savoir (Perrenoud, 1985, 1995; Charlot, 1997). Les connaissances, les savoir-faire ne sont finalement valorisés que s'ils permettent d'avoir des notes acceptables. Beaucoup d'élèves, et de parents estiment inutile de chercher plus loin! Après plusieurs années d'un tel régime, il devient très difficile d'intéresser les élèves au savoir pour le savoir, pour le sens qu'il donne à la réalité, pour l'enrichissement personnel qu'il apporte, pour la mise en mouvement ou la satisfaction de l'esprit qu'il favorise." p.78: "Toutes les tentatives de pédagogie nouvelle, d'école active, d'évaluation formative, de différenciation de l'enseignement se heurtent à ce minimalisme, à ce rapport stratégique et utilitariste à l'apprentissage. On ne saurait en vouloir aux élèves: chacun est tout simplement réaliste. Comme tout acteur social, l'élève investit, en longue période, dans ce qui lui assure des profits tangibles." p.80-81: Le type de transposition didactique classique, tel que l'a montré Chevallard (1991) - "texte du savoir"; "curriculum découpé en tranches, chapitres, leçons, en pages qu'on tourne les unes après les autres" - privilégie le temps de l'enseignement et de l'enseignant, par opposition au temps de l'apprentissage et de l'apprenant. Toute approche constructiviste et génétique du développement et des connaissances indique que le savoir ne se construit jamais de façon linéaire, qu'il y a des anticipations, des retours en arrière, des reconstructions intensives et des phases de latence. Un enseignement qui voudrait suivre les rythmes de l'élève ne pourrait s'enfermer dans une stricte progression de chapitre en chapitre. Une pédagogie centrée sur les apprenants (Astolfi, 1992, Develay, 1992, Meirieu, 1989, 7990) ne peut que faire éclater le principe d'une progression parallèle de tous les élèves dans la maîtrise des mêmes contenus. L'évaluation traditionnelle, comme la transposition didactique dont elle participe, font obstacle au développement de pédagogies actives et différenciées." p.81: "(...) l'enseignement ne se définit plus que comme la préparation à la prochaine épreuve. Les activités d'apprentissage s'apparentent au drill, à l'entraînement intensif, au sens où le pratiquent certains sportifs qui font et refont les exercices sur lesquels on les jugera le jour de la compétition." p.82: "Même lorsque l'évaluation traditionnelle est continue, étalée tout au long de l'année scolaire, elle garde de l'examen une conception de l'équité qui consiste à poser les mêmes questions à tout le monde, au même moment et dans les mêmes conditions. Comme s'il v avait des raisons de penser que les apprentissages peuvent être synchronisés au point que, pendant exactement le même nombre d'heures ou de semaines, et strictement en parallèle, les élèves apprennent la même chose. Cette fiction, aussi peu défendable soit-elle, sous-tend tout le système traditionnel d'évaluation formelle. Dans la mesure où il est en vigueur et gouverne le destin scolaire des élèves, il est assez normal qu'ils soient, comme leurs parents, fortement attachés à l'équité formelle devant la note, à défaut d'égalité devant l'enseignement." p.83: "Globalement, l'évaluation privilégie les savoirs et savoir-faire qui peuvent se traduire en performances individuelles et se manifester à travers des questions à choix multiples ou des exercices auxquels on peut équitablement attribuer un certain nombre de points. Dans l'ensemble des savoirs et savoir-faire valorisés par les plans d'études, l'évaluation traditionnelle délimite un sous-ensemble assez restrictif et relativement conservateur par rapport aux nouvelles tendances des programmes, qui mettent de plus en plus )'accent sur le transfert de connaissances et la formation de compétences de haut niveau taxonomique (Perrenoud, 1997). Les déclarations d'intention privilégient désormais le raisonnement, l'imagination, la coopération, la communication, le sens critique...Fort bien, mais le problème majeur de l'école est de passer à l'acte, au jour le jour, dans le choix des activités et la pondération des exigences. Le système d'évaluation classique est un frein important à cette évolution, parce qu'il force les enseignants à préférer les compétences isolables et chiffrables aux compétences de haut niveau -raisonnement, communication-, difficiles à enfermer dans une épreuve papier-crayon et des tâches individuelles." p.86: "Sans en faire l'alpha et l'oméga du système pédagogique, l'évaluation traditionnelle est un verrou important, qui interdit ou ralentit toutes sortes d'autres changements. Le faire sauter, c'est donc ouvrir la porte à d'autres innovations." p.91: "Même instrumentées, rationalisées, codifiées, optimisées, assistées par ordinateur, l'évaluation et l'intervention sont en dernière instance des opérations et des actions accomplies par des êtres humains. Ils ne sont pas toujours, en outre, en situation de réfléchir et d'agir tranquillement, compte tenu de l'urgence et de l'incertitude qui caractérisent le métier d'enseignant." p. 92: "D'une certaine manière, on pourrait dire que le principal instrument de toute l'évaluation formative est et demeurera l'enseignant engagé dans une interaction avec l'apprenant. Même un modèle prescriptif de régulation devrait en tenir compte. C'est ce qui se passe lorsqu'on réhabilite l'intuition(.Allal, 1983) ou qu'on blanchit la subjectivité (Weiss, 1986)." p.93: "La régulation optimale des apprentissages individuels est fort difficile même lorsque la classe comporte douze élèves, même lorsque les enseignants travaillent en équipe, même lorsqu'ils disposent de ressources supplémentaires ou participent à un projet centré sur l'échec scolaire et la différenciation de l'enseignement. (Quatre obstacles): ° S'enfermer dans une logique de la connaissance au détriment d'une logique de l'apprentissage. ° S'en tenir à une image trop vague des mécanismes d'apprentissage. ° Laisser inachevées trop de régulations pourtant bien amorcées. ° Accorder la priorité à la régulation de la tâche par opposition à l'apprentissage." p. 103 : Le concept de régulation, dans ses variantes les plus simples, rend compte du maintien d'un état stable. I1 s'applique aussi à l'optimisation d'une trajectoire ou, plus globalement, d'un processus dynamique finalisé. Ainsi, en astronautique, la régulation passe-t-elle par une action qui a pour effet de maintenir ou de replacer un mobile dans la trajectoire censée le conduire au but. [,a comparaison a évidemment des limites, mais elle nous suggère déjà quelques précautions: - la trajectoire optimale n'est pas nécessairement la ligne droite; replacer un mobile dans une trajectoire optimale n'équivaut pas toujours à le rapprocher physiquement du but; certains détours sont des raccourcis; - toute correction de vitesse ou de direction n'est pas une régulation; elle peut au contraire écarter le mobile d'une trajectoire optimale; - dans un environnement changeant, la trajectoire optimale ne peut être décrite une fois pour toute, elle doit être recalculée, sinon en permanence, du moins chaque fois qu'un paramètre important modifie la situation ou qu'une erreur de parcours est devenue irréversible; - il peut arriver que l'objectif visé se révèle finalement hors d'atteinte, en raison d'obstacles imprévus ou d'une suite d'erreurs; il est alors redéfini et la trajectoire idéale recalculée en fonction d'une nouvelle destination. Cette complexité s'accroît dès qu'on parle d'apprentissages humains: - on ne dispose ni de cartes complètes, ni de théories assez fondées pour décrire l'équivalent d'une "trajectoire", encore moins pour la calculer avec précision; - on ne sait pas très bien qui est le pilote: l'apprenant? l'enseignant? y a-t-il toujours un pilote? - le but est loin d'être toujours clair et stable, faute souvent de faire l'objet d'un consensus; - il est rare qu'on poursuive un seul objectif à la fois; - la logique de l'optimisation entre fréquemment en conflit avec d'autres logiques des acteurs en présence (confort, pouvoir, séduction, sécurité, etc.); - il n'est pas aussi simple qu'en astronautique de savoir si l'on se rapproche véritablement de l'objectif, ni même de démontrer qu'il est atteint..." p.717: "(...)il y a réalisme et réalisme. L'un conservateur, à courte vue, qui s'abrite derrière les traditions et les intérêts acquis pour se résigner aux inégalités avec un fatalisme morose ou réjoui. Ce réalisme-là ne peut persister qu'en refusant de voir une partie de la réalité ou en inventant des fatalités biologiques ou socioculturelles qui le protègent de toute remise en cause. II existe un autre réalisme, plus novateur, qui se soucie de l'avenir, tant des individus que des sociétés, qui ne s'accommode pas du fait que tant d'enfants, d'adolescents passent d'aussi longues années à l'école pour en sortir sans maîtriser véritablement leur langue maternelle, sans lire couramment et en avoir le goût, désemparés devant un texte simple, démunis de moyens d'argumentation ou d'expression des sentiments. Le réalisme didactique, tel que je le défends ici, consiste à prendre les apprenants tels qu'ils sont, dans leur diversité, leurs ambivalences, leur complexité, pour mieux les amener à des maîtrises nouvelles. Peut-être est-ce un réalisme utopique. Avons-nous vraiment le choix ?" p. 119- 120: Titre du chapitre 7: "Une approche pragmatique de l'évaluation formative" p. 120:"Faire feu de tout bois!" "Mieux vaudrait parler d'observation formative que d'évaluation, tant ce dernier mot est associé à la mesure, aux classements, aux carnets scolaires, à l'idée d'informations codifiables, transmissibles, comptabilisant les acquis. Observer c'est construire une représentation réaliste des apprentissages, de leurs conditions, de leurs modalités, de leurs mécanismes, de leurs résultats. L'observation est formative lorsqu'elle permet de guider et d'optimiser les apprentissages en cours, sans souci de classer, certifier, sélectionner. L'observation formative peut être instrumentée ou purement intuitive, approfondie ou superficielle, délibérée ou accidentelle, quantitative ou qualitative, longue ou brève, originale ou banale, rigoureuse ou approximative, ponctuelle ou systématique. Aucune information n'est a priori exclue, aucune modalité de saisie et de traitement écartée."' "Pour comprendre certaines erreurs de lecture à partir d'une interprétation psychanalytique, à la manière de Bettelheim et Zélan (1983), il faut évidemment observer tout autre chose qu'un niveau de performance. Ce qui compte le plus, dans l'observation, c'est moins son instrumentation que les cadres théoriques qui la guident et gouvernent l'interprétation des observables. Ici encore, évitons les normes a priori: certaines théories savantes et explicites de l'apprentissage et du développement guideront certaines formes d'observation formative; mais des théories plus naïves, des paradigmes plus vagues, des représentations plus personnelles des processus et des causalités en cours pourront se révéler tout aussi efficaces." p.122: "Le développement et l'apprentissage dépendent de multiples facteurs, souvent enchevêtrés. Toute évaluation qui contribue à optimiser, si peu que ce soit, l'un ou plusieurs d'entre eux peut être considérée comme formative. On ne voit pas pourquoi on s'en tiendrait à la définition de la tâche ou aux consignes, à la démarche didactique et à ses supports, au temps accordé à l'élève ou à l'appui qu'on lui prodigue. Le climat, les conditions de travail, le sens de l'activité ou l'image de soi, importent autant que les aspects matériels ou cognitifs de la situation didactique. On peut aider un élève à progresser de maintes façons: en expliquant plus simplement, plus longuement ou autrement; en l'engageant dans une tâche nouvelle, plus mobilisatrice ou mieux proportionnée à ses moyens; en allégeant son angoisse, en lui redonnant confiance; en lui proposant d'autres raisons d'agir ou d'apprendre; en le plaçant dans un autre cadre social, en dédramatisant la situation, en redéfinissant la relation ou le contrat didactique, en modifiant le rythme de travail et de progression, la nature des sanctions et des récompenses, la part d'autonomie et de responsabilité de l'élève. L'élargissement de l'intervention suit plusieurs axes complémentaires. Il conduit à se détacher-. - des "symptômes", pour s'attaquer aux causes profondes des difficultés; - du programme en cours pour reconstruire des structures fondamentales ou des prérequis essentiels; - de la correction des erreurs, pour s'intéresser à ce qu'elles disent des représentations de l'élève, pour s'en servir comme points d'entrée dans son système de pensée (Astolfi, 1997); - des acquis cognitifs, pour prendre en compte les dynamiques affectives et relationnelles sous-jacentes; - de l'individu, pour considérer un contexte et des conditions de vie et de travail, à l'école et en dehors." p. 123: "A propos d'évaluation formative et plus généralement de pédagogie de maîtrise, Allal (1988) a distingué trois types de régulations: ° les régulations rétroactives, qui surviennent au terme d'une séquence d'apprentissage plus ou moins longue, à partir d'une évaluation ponctuelle; ° les régulations interactives, qui surviennent tout au long du processus d'apprentissage; ° enfin, les régulations proactives, qui surviennent au moment d'engager l'élève dans une activité ou une situation didactique nouvelles. Ces trois modalités peuvent se combiner. Nulle ne devrait être associée à une procédure stéréotypée." p.124: "L'intérêt du concept (de régulation interactive) est (...) de faire basculer l'évaluation formative du côté de la communication continue entre enseignants et élèves. (...) La régulation interactive est prioritaire, parce qu'elle seule est véritablement capable de mordre sur l'échec scolaire." p. 126: "II s'agit d'inventer des régulations adaptées aux pédagogies nouvelles, à leurs objectifs et à leurs théories de l'apprentissage, plutôt que de faire régresser ces pédagogies pour les faire entrer dans le moule classique enseignement - tests - remédiations." p. 127: "La didactique comme dispositif de régulation" p.127-128: "Tout auteur d'un manuel ou d'une méthode aimerait croire que la démarche d'enseignement qu'il propose est "si bien pensée" qu'elle anticipe les questionnements de l'élève, ses perplexités, ses doutes, ses découvertes, ses cheminements, ce qui devrait permettre de faire l'économie de toute régulation forte en cours d'apprentissage. Dans les ouvrages méthodologiques, on trouve à foison des séquences et des situations didactiques exemplaires, censées produire des effets d'apprentissage très importants. La question de l'échec ou de l'aboutissement partiel de la démarche, du moins pour certains élèves, semble relever d'un autre registre, celui de la vie quotidienne, avec ses imperfections. Le discours didactique se meut encore très souvent dans un monde de fiction où les élèves veulent apprendre, maîtrisent les prérequis et ne résistent pas au génie de la méthode..." p.128: "(...) le succès des apprentissages se joue dans la régulation continue et la correction des erreurs, davantage que dans le génie de la méthode." p.129: "(...): anticiper, prévoir tout ce qu'on peut, mais savoir que l'erreur et l'approximation sont la règle, qu'il faudra constamment rectifier le tir. Dans cet esprit, la régulation n'est pas un moment spécifique de l'action pédagogique, elle en est une composante permanente." p.138: "Chaque maître souhaitant pratiquer une évaluation formative doit reconstruire le contrat didactique contre les habitudes acquises par ses élèves. De plus, il a affaire à des enfants ou à des adolescents enfermés, pour certains, dans une identité de mauvais élèves et d'opposants. Même si l'évaluation formative va au devant des intérêts bien compris de l' élève, qu'il le comprenne ou non, cela ne suffit pas à assurer sa coopération." p.144: "Allier l'intuition et l'instrumentation (...) - à de nombreux moments, l'intuition suffit, parce que la régulation porte sur des aspects très visibles ou parce que l'expérience de l'enseignant lui permet, sans instrumentation, de comprendre assez vite ce qui se passe dans la tête de l' élève, pourquoi il est bloqué, comment il travaille, etc. ; - à d'autres moments, pour certains élèves, l'intuition ne suffit pas et il faut, à bon escient, faire appel à des grilles, des tests, des procédures d'observation systématiques. Etre pragmatique, c'est être éclectique. C'est blanchir la subjectivité (Weiss, 1986) lorsqu'elle est défendable et efficace, mais c'est aussi plaider pour l'instrumentation lorsqu'elle est indispensable, en raison de la complexité ou de l'ambiguïté de la réalité." p.159: "(...) l'évaluation formative suppose une forme d'humilité, la reconnaissance par chacun de ses manques et de ses incompréhensions. Pour qu'une régulation intervienne, il faut souvent une demande d'aide explicite ou implicite, fondée sur un constat d'échec ou d'impuissance: "Je n'y arrive pas. Comment pourrais-je faire ?" Pour jouer régulièrement ce jeu, il faut que la coopération l'emporte sur la compétition, que l'élève ait suffisamment confiance pour n'avoir pas l'impression de donner des verges pour le battre lorsqu'il dévoile ses difficultés ou ses incertitudes." p.172: "Hormis quelques circulaires et d'épisodiques réunions de parents, l'évaluation est le lien le plus constant entre l'école et la famille." p.173: "Changer le système d'évaluation conduit nécessairement à priver une bonne partie des parents de leurs points de repère habituels, créant du même coup incertitudes et angoisses. (...) Tout ce qui s'éloigne d'une préparation à l'évaluation scolaire classique (interrogation orale ou test papier-crayon) semble un peu exotique, anecdotique, pas très sérieux et, en fin de compte, étranger au travail scolaire tel que l'évaluation traditionnelle l'a figé dans l'imaginaire pédagogique des adultes: des exercices, des problèmes, des dictées, des compositions, autant de tâches qui se prêtent à une évaluation classique. Cet obstacle n'est pas insurmontable, mais le changement des pratiques d'évaluation, dans un sens plus formatif, qualitatif et interactif (...) passe nécessairement par une explication patiente, par un changement des représentations, par une reconstruction du contrat tacite entre la famille et l'école." p. 176: "Dans une évaluation traditionnelle, l'intérêt de l'élève est de faire illusion, de masquer ses failles et de mettre en valeur ses points forts. Le métier d'élève consiste notamment à déjouer les pièges que pose l'enseignant, à décoder ses attentes, à faire des choix économiques au stade de la préparation et de la passation des épreuves, à savoir négocier de l'aide, des corrections plus favorables ou l'annulation d'une épreuve mal réussie. Dans un système scolaire ordinaire, l'élève a, en toute bonne foi, d'excellentes raisons de viser avant tout à recevoir des notes suffisantes. Pour cela, il doit ruser, feindre d'avoir compris et de maîtriser par tous les moyens du bord, y compris le bachotage et la tricherie, la séduction et le pieux mensonge." p.177: "Aller vers l'évaluation formative, ce serait renoncer à faire de la sélection l'enjeu permanent du rapport pédagogique, ne pas faire vivre les élèves sous la menace du redoublement ou de la relégation vers des filières moins exigeantes. Cela ne suffit pas: il faut envisager un changement considérable du contrat didactique (...) , la substitution d'une relation coopérative à une relation qui, sans être agressive, est aujourd'hui dans les systèmes traditionnels, de nature fondamentalement conflictuelle." p. 184: Perrenoud cite Ranjard: "Les enseignants savent que les notes ne sont pas fiables, qu'ils ne mettraient pas la même note à la même copie si on la leur représentait quelques semaines plus tard et que leurs collègues mettraient tous des notes différentes à cette copie. Ils savent qu'ils sont incapables de préciser, même pour eux seuls, leurs objectifs et leurs critères de notation. Ils savent qu'ils ne savent pas en quoi consiste le "niveau" qui permet de "passer". Ils savent que couper à la moyenne est absurde. Ils connaissent les effets de stéréotypie et de halo. Ils savent mais ils ne veulent pas savoir qu'ils savent. Ils savent inconsciemment. Et c'est pour cela qu'ils peuvent en toute bonne foi mettre en avant leur conscience professionnelle. Elle est innocente, en effet: c'est d'inconscient qu'il s'agit! Mais pourquoi? Que défendent-ils par cette résistance ?Ils défendent un plaisir. Un plaisir de mauvaise qualité mais sûr, garanti, quotidien. (...) Ce plaisir, c'est le plaisir du Pouvoir avec un grand P. L'enseignant est le maître absolu de ses notes. Personne au monde, ni son directeur, ni son inspecteur, pas même son ministre, ne peut rien sur les notes qu'il a mises. Car c'est en son âme et conscience qu'il les a mises. Avec son diplôme, on lui a reconnu la compétence de noter (ce qui ne manque pas de sel!). Sa conscience professionnelle est inattaquable. Dans sa tâche de notateur, il est tout puissant. Et cette maîtrise, c'est du pouvoir sur les élèves." "Une évaluation formative (...) prive définitivement du pouvoir de classer, de distinguer, de condamner globalement quelqu'un en fonction de ses performances intellectuelles, (... elle oblige (...) à renoncer à la "toute puissance de noter, un plaisir qui vient des enfers et qu'on ne peut regarder en face." (Ranjard, 1984)." p.185: "Sans doute, le plaisir d'évaluer l'autre, et donc d'avoir prise sur lui, s'enracine-t-il dans les premières années de l'expérience humaine et constitue-t-il une revanche sur toutes les humiliations et les frustrations subies durant l'enfance et même la vie adulte." 11 ne s'agit pas de jeter la pierre aux enseignants, "ils ne sont ni plus ni moins désintéressés que les autres professionnels", mais il s'agit de "souligner que tout changement, dans n'importe quelle organisation, peut mettre en danger l'économie psychique des acteurs, l'équilibre parfois fragile qu'ils ont construit entre les plaisirs et les frustrations, les libertés et les devoirs que leur charge permet ou impose." p.192-193: "(...) on peut essayer d'aménager le contrat pédagogique et didactique, de sorte qu'il n'empêche pas l'essentiel, apprendre et enseigner. Ce contrat produira moins de mécanismes de défense si l'on: - considère les erreurs et les obstacles comme autant d'occasions d'apprendre (.Astolfi, 1997); - travaille explicitement le rapport au savoir et le sens du travail scolaire Charlot, 1997; Develay, 1996; Perrenoud, 1996; Rochex, 1995, etc.); - n'impute pas les difficultés d'apprentissage à la personne de l'élève, à sa famille, à son patrimoine génétique, mais aux conditions d'apprentissage; - reconnaît que l'on n'apprend pas tout seul et que certaines compétences sont collectives ou exigent au moins une forme de coopération; - accepte toutes les questions, sans en stigmatiser aucune, ni la retourner contre son auteur; - met en place des régulations autour des méthodes de travail, si l'on institue un conseil de classe, en étendant ses compétences aux méthodes de travail et aux dispositifs didactiques; - développe une culture permettant la coexistence et la coopération d'élèves inégaux, dans le respect mutuel; - associe les parents à l'évaluation, plutôt que de la leur asséner; - reconnaît la négociation comme une modalité légitime de travail à tous les niveaux." |
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