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Extraits d'un article du sociologue François Dubet, qui ouvre un livre intitulé: Ecole familles le malentendu , Sous la direction de F. Dubet, Collection Le Penser-Vivre, Les Editions Textuel, 1997:

 

"C'est la faute aux parents..." II ne serait pas difficile de détailler les pièces du procès instruit contre les parents des classes populaires, dont les "déficiences" ou les "incapacités" suffiraient à expliquer les échecs de leurs enfants. Es ne croient pas à l'école et s'en désintéressent ; d'ailleurs on ne les voit jamais dans l'école ou le collège... Ils sont incapables de maintenir la moindre des disciplines de vie nécessaires à la vie scolaire... Les enfants sont livrés à eux-mêmes ou vautrés devant la télévision... Parfois, les parents se montrent battus d'avance et découragent leurs enfants, répétant que les diplômes ne servent à rien... Leur vie de famille est anarchique ; les pères sont absents parce qu'ils travaillent trop ou, au contraire, parce qu'ils ne travaillent plus... Les divorces font des ravages... Les mères sont dépassées ou trop autoritaires...

Les parents des élèves en difficulté seraient donc "coupables" - coupables de n'être pas ces parents des classes moyennes tout entières mobilisées autour de la réussite de leurs enfants, à l'image des enseignants eux-mêmes. Critique non dépourvue de compassion, elle ne se réduit pas aux préjugés et au mépris des classes moyennes pour les classes populaires. Les parents "incapables" ne seraient pas seulement des coupables, mais aussi des victimes de la "crise", du chômage, de la pauvreté, de l' "exclusion"... S'ils ne comprennent pas les vraies règles et attentes de l'école, c'est parce qu' ils ne les connaissent pas - parents le plus souvent peu qualifiés, aux scolarités cahoteuses, ou familles récemment immigrées, qui doivent apprendre la vie scolaire à travers leurs propres enfants transformés en messagers et en interprètes. Mais plus encore que les difficultés économiques, c'est la culture de masse qui dépossède les parents. Ils croient naïvement ce que disent les médias et la télévision. Ils achètent des téléviseurs et des magnétoscopes plutôt que des livres et des cahiers, des jeux stupides plutôt que des jeux éducatifs. Bref, ils sont les victimes d'un capitalisme qui les transforme en - consommateurs pauvres et dépendants. Autant, pensent les enseignants, il faudrait rompre avec les parents "coupables", autant il faudrait éduquer les parents "victimes", les guider vers toutes les vertus qu'exige la réussite scolaire.

Dans ce procès, que les parents soient victimes ou coupables, il reste que l'école ne se tient jamais pour responsable de l'échec. Et de rêver au temps où la grandeur de l'école républicaine s'imposait à tous, où le prestige des maîtres n'était guère contesté, où l'instruction apparaissait comme la seule voie du salut : l'expression du progrès, l'agent de la culture nationale et le moyen de s'élever. Pourtant, cet "âge d'or" ne fut pas idyllique et n'a jamais existé ailleurs que dans les romans de la nostalgie du temps des pères fondateurs (...)

La "faute aux parents" ne s'épuise pas dans le procès ambigu des classes populaires "incapables". La critique est tout aussi vive à l'encontre des parents "trop capables". Ceux-là passent pour des consommateurs cyniques et exigeants. Toujours disposés à changer leurs enfants d'école, ils se mêlent trop de la vie scolaire et y accentuent la ségrégation. Obsédés par la réussite, ils surveillent les enseignants, suivent la bonne marche des programmes, dispensent des conseils du haut de leurs compétences. Parents d'élèves organisés dans les diverses fédérations qui font souvent peser cette pression sur l'école, et "le pire", dit-on

dans les salles des professeurs, c'est quand les parents sont aussi enseignants! (...)" (p.14, 15, 16)

"(...) depuis qu'il n'est plus réservé aux seuls meilleurs élèves, le collège accueille tous les adolescents et, avec eux, tous les problèmes psychologiques et sociaux. Et ce n'est pas un hasard si le collège est devenu le maillon faible du système. A la fois école de tous et début de la sélection, il se heurte à l'hétérogénéité des élèves. Son fonctionnement est sans cesse "parasité" par la vie juvénile d'élèves qui ne sont plus des enfants soumis à l'autorité "naturelle" des adultes, et où ils ne sont pas encore des lycéens anticipant les enjeux sociaux des études. Au collège, plus que partout ailleurs, se pose la question de l' "ouverture" de l'école, des "droits" des élèves, de la place des parents.

Le vieux monde scolaire n'est pas seulement en crise, il a changé de nature. Les vieilles régulations se sont défaites, les vieux accords sont devenus plus incertains. Il ne suffit plus que les divers acteurs jouent leur rôle, ils doivent être "motivés" , ils doivent s'engager dans leur "métier" d'élève, de professeur ou de parent. Les dimensions subjectives de l'expérience scolaire sont de plus en plus essentielles à la socialisation. A l'ordre stable des institutions s'est substitué le jeu des relations entre les parents, les élèves et leurs enseignants, engendrant souvent des incertitudes, des espoirs excessifs, des déceptions et des rancoeurs..." (p. 30-31)

Voir dans le même ouvrage, article de P. Meirieu : "Vers un nouveau contrat parents-enseignants?" : "Quand on considère l'ampleur démesurée du travail exigé des enfants et la sollicitation qu'elle impose aux parents, on se retrouve dans une situation étrange dans laquelle les enseignants semblent dire : "Ne venez pas voir ce que l'on fait ; en revanche, nous vous déléguons toute une série de tâches qui sont de notre ressort : enseignez à vos enfants à apprendre leurs leçons, à réviser un contrôle. Non, nous ne leur apprenons pas, c'est à vous de le faire! Sinon nous vous considérons comme démissionnaires." (p. 89)