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Extraits du livre de la sociologue Anne Barrère, Les Enseignants au travail, Routines incertaines, collection Savoir et Formation, L'Harmattan, 2002, p. 96 à 111 :

 

LE COURS DIALOGUE: UNE INNOVATION CONSENSUELLE

 

« Le cours magistral n'a pas disparu dans l'enseignement secondaire et apparaît au contraire comme une forme particulièrement pérenne d'organisation de la classe. Mais sa caricature fait l'unanimité contre elle (...) Tout le monde est d'accord : un cours silencieux où « rien ne se passe » n'est pas un bon cours. » (p.96)

« La force paradoxale du nouvel agencement normatif que constitue le « cours participatif » est d'être une innovation réalisable au quotidien, et compatible avec les options pédagogiques les plus diverses, y compris d'ailleurs le cours magistral le plus classique qu'elle ne fait alors que « nuancer ». Elle peut même être dans certains cas davantage une préoccupation qu'une réalité tangible. Il n'empêche : elle a profondément bouleversé les pratiques et les représentations de la classe. »

Note de bas de page : « (...)Marguerite Altet peut distinguer plusieurs modes de communication différents au sein de la pédagogie dialoguée. Les épisodes adaptateurs, véritablement centrés sur l'élève et où le temps de parole est équitablement réparti entre enseignants et élèves, sont minoritaires et ne se rencontrent que dans des petits groupes ; les épisodes inducteurs, orientés et menés par l'enseignant dominent. Cf Altet M., « Comment interagissent enseignants et élèves en classe » Revue française de pédagogie, n° 107, avril-mai-juin 1994.

 

Une injonction institutionnelle bien reçue...

 

« Partant d'une commune adhésion théorique à cette norme de cours, la mise en question sous-jacente de sa faisabilité ne prendra pas les mêmes voies. » -> Tout doit venir des élèves/ mais les élèves, des fois, c'est pauvre, v a rien...

« Ce qui frappe tout de même, est la manière dont le rapport pédagogique en tant que rapport de pouvoir traverse immuablement les transformations normatives à l'œuvre dans les représentations du bon cours ...et du bon élève. De même que l'émetteur magistral ne pouvait qu'avoir raison, le récepteur étant toujours en faute, l'enseignant actuel se dédouane de l'impossibilité de déroger aux méthodes les plus traditionnelles sur la passivité de ses élèves. L'adhésion à la nouvelle norme n'empêche guère d'imputer l'essentiel des responsabilités à l'élève, qui n'est désormais jamais assez actif : peu autonome, et peu motivé. »

 

Une injonction très inégalement traduite.

 

« L'impératif de mise en activité des élèves est mis en oeuvre de manière très diverse. Elle peut d'abord se traduire par la pédagogie par exercices, une pratique répandue mais fort différenciée selon les disciplines. » (mathématiques arrive en tête).

« (...) si le travail individuel en petits groupes occupe 18 minutes sur les 55 d'un cours réel, il ne s'agit pas réellement de travail individualisé ou différencié; mais bien souvent d'exercices uniformes proposés à tous. (...) La grande majorité du temps est donc investie dans une activité d'écoute indifférenciée (37 minutes), qu'il s'agisse des pairs ou de l'enseignant lui-même. »

« Au fond, on peut opposer les enseignants sans activités préconstruites des matières littéraires aux enseignants « à expériences et à exercices », voire « à machines » des matières scientifiques et techniques, et de certains cours de langues. Puisque, pour la plupart des enseignants, le « cours magistral » est ce dans quoi « il ne faut pas retomber », ce sont les premiers qui bien évidemment courent davantage le risque d'une rechute. La participation orale des élèves leur permet alors de rompre le monologue tout en satisfaisant apparemment à l'impératif de recentrage sur l'élève lui-même(...) »

 

La participation orale comme nuance du cours magistral

 

Pourtant, dans bien des cas, la pédagogie participative n'est pas une alternative au cours magistral mais une autre manière de le vivre et de le faire accepter. » -> passages entre cours dialogué et cours magistral, besoin d'une « trace écrite ».

 « La nature du dialogue suscité ou des questions posées peut apparaître par ailleurs comme un faux- semblant, une manière pour l'enseignant de présenter autrement un discours tout aussi construit que le cours magistral lui-même, puisque seul il sait où il veut en venir. »

« La participation orale fournit des occasions de digressions amusantes ou convaincus qui, si elles retirent de l'efficacité au cours, sont appréciées aussi bien des élèves que des enseignants. Mais elles sont au fond tout à fait compatibles avec le modèle du cours magistral, dans ce qu'il suppose de capacité d'improvisation éventuellement brillante. »

« Au fond, le cours dialogué permet de maintenir un discrédit normatif de la magistralité tout en gardant ses bénéfices symboliques. Mais surtout, n'étant bien souvent qu'une nuance au cours magistral, il le modernise sans l'abolir. »

 

Participation et apprentissage.

 

« Faire participer les élèves est-il efficace ? Les questions posées servent à organiser le cours, mais servent-elles aux apprentissages proprement dits ? Des recherches montrent certes un lien entre le type de questionnement enseignant et les modes d'intervention des élèves, mais échouent à relier ces derniers à leurs opérations cognitives. D'un côté des recherches américaines montrent la plus grande efficacité des maîtres qui posent beaucoup de questions à leurs élèves, à condition qu'ils attendent un temps suffisant de réponse, mais d'un autre côté, comme nous l'avons déjà évoqué, tout ce qui nuit à la clarté et à la structuration rigoureuse du cours semble réduire l'efficacité des apprentissages. Le cours dialogué pouvant aussi bien supposer l'un que l'autre, il est bien difficile de se prononcer. »

« (... ) le cours dialogué paraît avoir la vertu d'introduire des retours immédiats sur la compréhension du cours, au moment même où il se déroule. Certes, les élèves, pris dans un jeu de face et de réputation, répugnent souvent à dire qu'ils n'ont pas compris, et interviennent la plupart du temps pour au contraire montrer leur bonne réception du cours. La participation est alors un moyen de rassurer les enseignants sur le fait que les difficultés de compréhension sont d'ores et déjà surmontées. Mais que se passe-t-il lorsque les élèves font part de leurs difficultés ? Au collège, la pédagogie dialoguée rapproche les enseignants des vrais problèmes de l'apprentissage. (...) Pourtant l'utilisation de la participation orale comme diagnostique des problèmes est une pratique à risques qui peut renvoyer l'enseignant à des problèmes inédits, et surtout, le met en demeure de réexpliquer son propos. Si l'usage courant du terme pédagogie renvoie bien à des compétences particulières d'explication, il n'est pas sûr que la réexplication soit aussi facile... »

 

Participation et motivation : la participation des élèves comme indice du cours réussi.

 

« L'ouverture des portes de l'école aux nouveaux publics s'est accompagnée de la montée d'une nouvelle tâche, celle de la motivation. Une tâche fort lourde, non parce que les élèves sont dépourvus d'intérêt pour les savoirs qu'on leur enseigne, mais parce que cet intérêt est d'emblée précaire, fragile, et donc constamment à consolider, voire à construire. Par ailleurs, l'importance de l'évaluation scolaire est telle aujourd'hui que les mauvais résultats sont corrosifs pour ces instables désirs d'apprendre. »

« Les enseignants sont très sensibles à l'imprévisibilité de l'attention des élèves, elle est en partie ce qui fait l'écart entre le cours préparé et le cours réussi. La métaphore de l'émission zappée est récurrente, sous-jacente ou patente. »

« Si la participation des élèves peut apparaître comme un changement relatif à plus d'un titre, elle est devenue une donne essentielle du travail de l'enseignant. Pour autant, elle est loin d'être forcément une pratique centrée en profondeur sur l'élève plutôt que sur le maître, pour reprendre une terminologie fréquemment employée. En effet, à bien des égards, elle rassure ce dernier sur la motivation des élèves, et sur sa capacité à la construire mais renforce aussi le plaisir de la communication, qui est aussi celui de la parole, lorsque de « comédien », l'enseignant devient un véritable « chef d'orchestre », harmonisant et faisant se répondre les paroles des uns et des autres. »