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Perception de soi et motivation

 

Extrait de « Différences d’attitudes et de comportement selon l’appartenance sexuelle, Roch Chouinard in « La gestion de classe, Fijalkow et Nault (eds), De Boeck Université, Chapitre 9

 

Des différences entre les deux sexes sont aussi observées en ce qui concerne la perception de soi et la motivation scolaire. Bien que certaines différences à ce niveau soient présentes dès le primaire et dans plusieurs matières scolaires, celles‑ci sont surtout apparentes au secondaire et elles sont plus marquées en mathématiques et en sciences.

En général, les garçons éprouvent des besoins d'accomplissement scolaire plus élevés que les filles. Ceci serait relié au fait que les garçons entretiennent de plus grandes attentes de succès que les filles (Chouinard, Vezeau, Bouffard et Jenkins, 1999 ; Roberts, 1991). Plusieurs auteurs relèvent en effet que les filles tendent à avoir moins confiance en leurs capacités que les gar­çons, notamment en mathématiques et en sciences (Eccles, 1983 ; Duru‑Bel­lat, 1990 ; Meece et Courtney, 1992 ; Morse et Handley, 1985 ; Relich, 1996 ; Skinner et Belmont, 1983 ; Terwilliger et Titus, 1995). Les garçons pour leur part croient généralement plus que les filles que les mathématiques sont faci­les à maîtriser, ils affichent une plus grande confiance en leur efficacité dans cette discipline et présentent des attentes de succès supérieures que leurs consoeurs et ce, à rendement scolaire égal (Eccles et Blumenfeld, 1985). Eccles (1983) justifie l'avantage des garçons en mathématiques par le fait que, ces derniers perçoivent mieux l'utilité de cette discipline pour leur avenir. Elle ajoute que l'identification d'une tâcha à un rôle sexuel influence grandement la valeur que les élèves accordent à cette tâche, Cela dit, les résultats dans ce domaine de recherche sont contradictoires. Ainsi, lors d'une étude réalisée en Norvège, Skaalvik (1990) n'a obtenu, aucune différence significative entre les élèves des deux sexes relativement à leurs attitudes envers les mathémati­ques, ce qui va dans le sens d'une origine culturelle des différences observées ailleurs, Toutefois, les filles ayant participé à l'étude de ce chercheur affichent des attentes de succès et des résultats supérieurs à ceux des garçons dans le domaine des habiletés verbales, ce qui est également observé dans d'autres pays (Cooper, 1987). Par ailleurs, certaines études récentes nuancent les résultats obtenus antérieurement et portent à penser que la perception ainsi que leur niveau de motivation envers cette discipline tendent à se rejoin­dre vers la fin du secondaire alors que s'atténuent les différences à ce sujet (Chouinard et al., 1999).

 

Les élèves des deux sexes se distinguent ensuite en ce qui concerne le lieu de contrôle des événements qui les concernent et les attributions infé­rées pour expliquer ces événements. Ainsi, Dubois (1987) rapporte que, mal­gré des résultats inconsistants et des différences souvent faibles, les filles, plus que les garçons, ont tendance à percevoir les événements comme étant déterminés par des facteurs externes comme la chance ou le hasard tandis que ces derniers ont tendance à considérer ce qui leur arrive comme le résul­tat de leur propre comportement ou de leurs caractéristiques personnelles. Les filles seraient plus susceptibles d'attribuer un lieu de contrôle externe pour expliquer les événements qui les concernent alors que le lieu de contrôle des garçons serait généralement plus interne. Toujours selon cette auteure, deux phénomènes peuvent expliquer ces différences. Tout d'abord le stéréo­type selon lesquels les hommes seraient plus indépendants, ambitieux et res­ponsables alors que les femmes seraient plus soumises et dépendantes. Ensuite, les inégalités des rôles assignés à chacun des sexes résultant des pratiques éducatives parentales et scolaires. Ainsi, les individus seraient préparés dès le plus jeune âge à occuper des rôles prédéterminées en fonction de leur appartenance sexuelle.

 

En ce qui concerne les attributions causales, Schmidt (1995) et Eccles (1983) rapportent que les garçons ont tendance à expliquer leurs suc­cès par leur intelligence et par leurs aptitudes alors qu'ils sont portés à attri­buer leurs échecs à des causes externes, comme la malchance et le manque d'aide. À l'opposé, les filles attribuent plus facilement leurs succès à leurs efforts acharnés et expliquent plus souvent que les garçons leurs échecs par le manque d'habileté (Chouinard, 1996 ; Duru‑Bellat, 1990 ; Dweck, Davidson, Nelson et Enna, 1978). Ces différences, au désavantage des filles, se produi­sent aussi dans d'autres matières, en chimie et en physique notamment, mais elles sont plus fortes et plus consistantes en mathématiques (Eccles et al, 1985 ‑ Kloosterman, 1990 ; Stipek et Gralinski, 1991). Duru‑Bellat (1990) ajoute que les filles ont tendance à attribuer leurs réussites à leur compétence dans les domaines considérés comme typiquement féminins, mais à des fac­teurs externes, conu‑ne l'aide, la chance, la facilité de la tâche, dans les domai­nes moins traditionnels.

 

Cette façon de voir la compétence indique une tendance des filles àl'impuissance apprise dans certains domaines et explique pourquoi ces der­nières éprouvent alors moins de fierté pour leurs succès et plus de honte suite à un échec et pourquoi aussi elles connaissent une diminution plus marquée de leurs efforts suite à un échec que les garçons (Kloosterman, 1990). Les patrons attributionnels particuliers des filles dans certaines sphères ont pour conséquence que ces dernières sont souvent, sceptiques quant à leurs chances de réussir. Il a été maintes fois souligné par la recherche que les garçons peu performants affichent un concept de soi plus élevé que les filles dans la même situation et que les filles performantes présentent fréquemment

un concept de soi plus faible que celui des garçons ayant des résultats sembla­bles (Sears, 1963 cité par Grayson et Martin, 1988 ; Cooper, 1987). Ces diffé­rences entre les filles et les garçons au sujet de la perception de leur compé­tence et de leurs attentes de succès sont observées aussi tôt qu'au tout début du primaire, mais, comme il a été mentionné précédemment, ces différences sont plus importantes au secondaire. Surtout, elles ont alors plus de consé­quences parce que des. choix scoIaires et professionnels déterminants pour le futur s'effectuent au cours de cette période (Stipek et Gralinski, 1991).

 

Par ailleurs, les élèves des deux sexes n'interprètent pas de la même façon les rétroactions qu'ils reçoivent de la part des enseignants (Eccles et Blumenfe'ld, 1M5 ; Schmidt, 1995). Roberts (1991) affirme que les filles accordent davantage d'importance à l'évaluation d'autrui. Pour ce chercheur, les filles, parce qu'elles reçoivent moins de rétroactions, apprennent que cel­les‑ci doivent être prises au sérieux. Il ajoute que les garçons, exposés à un nombre beaucoup plus grand d'évaluations de la part des adultes qui les entourent, finissent par accorder moins d'importance à la fois aux critiques et aux éloges. Eccles (1983) précise que ce sont les rétroactions en lien avec la qualité intellectuelle du travail qui s'avèrent être significatives quant à la per­ception de soi, et que les garçons reçoivent plus de rétroactions de ce type que les filles. Les garçons et les filles sont donc l'objet de rétroactions quantitativement et qualitativement différentes et ils les interprètent différemment selon la nature et le contexte de ces évaluations (Eccles et Blumenfeld, 1985).

 

Malgré ce qui vient d'être dit concernant la perception de soi et la motivation scolaire, les garçons sont plus sujets aux difficultés d'apprentis­sage et à l'abandon scolaire alors que les filles réussissent mieux à l'école (Felouzis, 1993). La meilleure performance des filles est certainement à met­tre en relation avec leur comportement,. En effet, dès la maternelle les filles font preuve de plus d'4utonomie dans l'exécution des tâches, elles maîtrisent mieux les interactions en classe et rentabilisent mieux la communication pédagogique (Zazzo, 1982). Les difficultés des garçons seraient en partie redevables à leur conduite et, en particulier, au fait qu'ils réagissent à l'échec avec plus d'agressivité que les filles (Caplan, 1‑977).

 

Toutes ces différences entre les élèves des deux sexes font que les filles intègrent plus facilement et plus rapidement le milieu scolaire tandis que les garçons, moins bien préparés à se comporter selon les attentes des ensei­gnants, rencontrent plus de problèmes et ont plus souvent des interactions négatives avec ces derniers. Paradoxalement cependant, ces mêmes attitudes qui facilitent l'intégration scolaire des filles les rendent aussi moins visibles et peuvent inhiber leurs processus d'apprentissage en produisant des attentes négatives de succès (Grossman, 1995). En fait, les filles au sortir de l'école secondaire s'engagent encore de nos jours dans des formations et des métiers moins prestigieux et moins rentables (Felouzis, 1993). Ceci est à mettre en relation avec la nature particulière de la perception de soi et des patrons attributionnels des filles, en particulier au début de l'adolescence (Chouinard et al., 1999). Ceci indique aussi que la réussite scolaire et la réussite sociale sont deux concepts distincts.

 

Il faut cependant ajouter que le fait que la disproportion des garçons dans la catégorie des élèves en difficulté d'apprentissage et des décrocheurs n'est pas observée dans tous les pays laisse penser que cette situation est plu­tôt causée par la culture ou le système d'éducation que par des patrons géné­tiques (Brophy, 1985). Plusieurs hypothèses sont proposées pour expliquer la présence supérieure des garçons parmi les élèves en difficulté. Certaines de ces hypothèses sont soutenues partiellement par la recherche, d'autres ne le sont pas. Tout d'abord, les garçons percevraient l'école comme un milieu féminin, ensuite, l'école correspondrait mieux aux caractéristiques des filles et les attentes des enseignants seraient moins élevées à l'endroit des garçons, finalement, le faible pourcentage d'enseignants masculins au primaire contre­viendrait au processus d'identification sexuelle des garçons. Quoi qu'il en soit du bien fondé de ces hypothèses, il est certain qu'aucune d'entre elles ne suffit à elle seule à expliquer la situation scolaire difficile de bien des garçons actuel­lement.