Les ateliers de négociation graphique Aline NICOLLE, Collège de Sombemon, Christine PEkSYN, Collège Montpezat, Sens, Marie -Claude TAPIN, Patrick TAPIN, Collège de Saint-Florentin, Enjeux n° 34 mars 95 , l'orthographe autrement L'intitulé de ces ateliers appelle une explication. Si le mot «atelier» ne pose aucun problème d'interprétation, les termes «négociation graphique» peuvent intriguer, voire susciter d'emblée la polémique: «Pourquoi négocier ce qui n7est pas négociable? Il existe une norme, l'orthographe, dont il faut connaître les règles et les appliquer. Cela ne se discute pas! » Certes. Et ces ateliers n'ont nullement l'intention de remettre en cause le système orthographique; mais ils vont donner aux élèves l'occasion de discuter de leur production orthographique en toute liberté et en toute impunité. Nous nous proposons &élucider d'abord les objectifs propres à cette activité, puis de décrire la démarche mise en oeuvre pour les atteindre, et enfin d'en donner des échos, saisis sur le vif. 1. Les objectifs L'atelier de négociation graphique (désormais, A.N.G.) est un moment privilégié qui s'intègre à la dynamique de réflexion des autres activités orthographiques ou méta-orthographiques décrites ailleurs dans ce numéro. Il joue un rôle spécifique, et pour les élèves, et pour l'enseignant. Du côté des élèves, il doit conduire à instaurer progressivement un changement complet de leur comportement vis-à-vis de l'orthographe: il doit leur permettre de regarder leurs erreurs &une autre façon: comme des tentatives qui peuvent avoir leur pertinence, même si elles ne correspondent pas à la norme (certains sont tout étonnés de voir qu'ils ont transcrit quand même fidèlement l'oral du mot, ou qu'ils ont appliqué une régularisation qui malheureusement n'existe pas: nud pour nu ... ); il leur permet donc de se déculpabiliser car le sentiment de culpabilité ne fait pas de doute; il suffit d'entendre les élèves se fustiger lors des discussions: j'ai oublié, je n'ai pas pensé, c'est ma faute...!); il leur montre que l'orthographe peut être un véritable objet d'étude, qu'ïl y a quelque chose à comprendre dans l'orthographe, et que ce quelque chose présente même beaucoup d' intérêt. Mais il est également un instrument d'analyse qui permet à l'enseignant de mettre au jour les stratégies utilisées par les enfants afin de résoudre un problème orthographique. Il permet aussi de repérer quelles connaissances, quelles démarches, quel métalangage, sont réinvestis Enfin, l'A.N.G., par les interrogations qu'il amène, constitue une bonne introduction aux activités de systématisation. Il inaugure «ainsi une démarche d'investigation de la langue écrite, mettant en oeuvre une dynamique intellectuelle qui promet un rapport à la fois conquérant et exigeant à la graphie d'un texte: la distance instituée par l'activité et son caractère interactif créent la réflexion métalinguistique»1. C'est donc une pièce importante et originale de notre dispositif, peut-être au croisement de «ces voies d'accès à la maîtrise intellectuelle de l'architecture de la langue écrite», pour reprendre les termes de Danielle Lorrot. Voyons maintenant comment cet atelier fonctionne dans le cadre de la classe. 2. La démarche: le fonctionnement des ateliers Notre démarche est proche de celle qu'une équipe du CRESAS a mise en place dans des classes maternelles, sous le nom d'«atelier privilégié d'écrit»', ou de ce que Jean-Pierre Jaffré nomme «ateliers d'écriture» mais elle s'applique à des élèves qui savent ce qu'est l'écriture. Cette activité est pratiquée de façon régulière aux cycles Il et III de l'école élémentaire et en classe de sixième de collège. La fréquence la plus favorable pour ces A.N.G. nous semble être celle de quatre ateliers par trimestre. Ce rythme est tenu facilement en cycles 2 et 3 de l'école élémentaire. Cependant, il n'en est pas de même au collège, où l'organisation plus rigide de l'emploi du temps et du cadre de la classe constitue une sérieuse entrave à cette activité. Nous nous en sommes donc tenus à deux A.N.G. par trimestre. Différentes solutions ont pu être trouvées pour les mener à bien. L'heure de soutien affectée au français a été utilisée, quand elle existait à l'emploi du temps. Cette solution est bien sûr la plus facile à mettre en oeuvre, car il suffît de constituer quatre groupes et de travailler sur deux semaines: deux groupes avec l'enseignant pendant que les deux autres sont libérés. Lorsque cela n'a pas été possible, les deux groupes qui ne travaillaient pas avec le professeur effectuaient un travail de recherche, au Centre de Documentation et d'Information, guidés par le documentaliste, travail portant sur les systèmes d'écriture, ou sur des points précis d'observation du système graphique- Mais d'autres solutions existent certainement, en particulier le travail en binôme avec un autre collègue. Cependant, il n'existe pas de modèle universel: il convient de s'adapter à la situation locale, l'organisation de l'enseignement variant d'un collège à un autre. La classe est scindée de façon à obtenir des groupes restreints de 6 ou 7 élèves maximum, afin que chacun puisse s'exprimer. Tandis que l'enseignant s'occupe du groupe ANG., les autres travaillent en autonomie. Ces groupes peuvent être constitués selon un' critère d'hétérogénéité ou d'homogénéité de niveau, chacune de ces possibilités offrant, bien évidemment, avantages et inconvénients. Dans un groupe hétérogène, la discussion peut sembler plus riche, les bons élèves jouant un rôle moteur par la pertinence de leurs remarques et leurs compétences. La difficulté est, dans ce cas, de faire en sorte que les plus faibles ne soient pas inactifs, qu1ls puissent prendre la parole et justifier leurs choix. Dans un groupe homogène, en revanche, le risque est d'avoir moins matière à discussion lorsque, dans un groupe de bon niveau, les erreurs. sont moins nombreuses et vite résolues ; de ne guère progresser dans l'analyse des erreurs et la justification des graphies, dans un groupe de niveau faible. Après discussion au sein de l'équipe de recherche, certains parmi nous ont choisi de constituer des groupes homogènes, car ils craignaient que les élèves habituellement en échec en orthographe laissent l'initiative aux élèves réputés «experts» et qu'ils acceptent, les yeux fermés, toutes les décisions. Ils veulent ainsi voir jusqu'où vont les réflexions des élèves dits «faibles», comment ils réinvestissent les acquis nouveaux et tirent profit des activités de systématisation. Il n'existe pas, dans ce domaine de solution idéale; c'est seulement dans la dialectique des différentes situations que l'A.N.G. peut se révéler le plus opératoire. L'ANG. comporte habituellement trois phases, les deux premières en groupes, tels que l'on vient de les présenter, la troisième en classe entière. Tout d'abord, la dictée d'un texte; puis l'affichage et la discussion des graphies divergentes (à la fin de cette étape, le texte correctement orthographié est communiqué), et enfin, une synthèse générale. Le travail s'effectue- à partir d'un texte court, d'une à trois phrases, choisi par l'enseignant, voire composé par lui, en fonction d!un objectif défini le plus souvent en vue de provoquer des interrogations sur une notion qui sera abordée ultérieurement au cours d'une activité de systématisation: la relation graphème/phonème, les logogrammes ... Voici, par exemple, un texte choisi pour nourrir la réflexion sur la notion de graphème: J'avais la passion des mots. J'adorais philosophe, manant, bourru, perdreau et surtout cabillaud. (Marcel Pagnol) La première étape n'appelle aucun commentaire particulier, si ce n'est que nous avons pu constater, étant donné la dynamique créée autour du l'orthographe, que la réflexion s'amorce déjà à voix haute, fréquemment dans les classes de cycle II, chacun faisant ses remarques au fil de sa pensée et de l'écriture. On peut également observer que s'opère un vrai travail de correction, chacun n'hésitant pas à -rayer pour approcher la solution qui lui semble la plus juste. Après l'affichage des textes au tableau, ou leur rotation, un temps est laissé aux élèves pour découvrir les productions de leurs camarades. Ils sont invités à observer, à comparer les graphies retenues par chacun, à faire des remarques, à questionner. Ces graphies sont commentées, débattues, contestées ou confirmées. Il arrive ainsi souvent qu'en restituant pour les autres son raisonnement, un élève puisse constater qu'il est parti sur une base fausse ( par exemple une identification erronée de la nature d'un mot ), ou qu'il a tiré des conclusions incomplètes, qu'il exprime des doutes sur la validité de ses choix. Le rôle du professeur consiste, dans cette étape de discussion, non pas à enseigner, mais à animer, en donnant la parole, en relançant la discussion qui tourne en rond, à interpeller les élèves trop silencieux ou pas assez sûrs &eux pour exposer à voix intelligible leur cheminement intérieur, à faire émerger, par des questions ouvertes, les explications des enfants, sans jamais indiquer la solution. Nous souhaitons ici rappeler la théorie très éclairante de J. Bruner quant au rôle de l'adulte expert qui vient en aide à l'enfant en situation d'apprentissage, ce qu'ïl nomme «l'interaction de tutelle». L'intervention de l'adulte comprend «une sorte de processus d'étayage» qui permet à l'enfant de résoudre un problème. Lors de cette étape, nos pratiques peuvent diverger certains notent au tableau les remarques des élèves en opérant alors une certaine sélection des problèmes abordés, d'autres s'en tiennent à un travail purement oral, effectuant un rapide bilan en fin d'atelier. Un autre point de divergence concerne l'approfondissement des points abordés par les enfants. On peut, en effet, s'en tenir à leurs explications momentanées: dans ce cas, on privilégie l'observation et l'évaluation des enfants; on peut aussi les pousser plus loin dans leurs explications et rectifications. et alors on favorisera plutôt le réinvestissement ou la préparation à l'étude d'une nouvelle notion. Dans tous les cas, on aura pris en compte ce que chacun a écrit: l'erreur aura été considérée comme digne &intérêt puisqu'elle n'aura jamais été une «faute», mais un objet de discussion et, par là même, la source d'une réflexion qui doit conduire à un progrès. Une déculpabilisation aura été amorcée. Enfin, chaque atelier se termine par une brève récapitulation des réflexions faites en ordre dispersé, de manière à faire émerger le problème dominant que posait le texte ( les lois de position, les logogrammes, les terminaisons verbales ... Après ces deux premières étapes, une séance de synthèse est programmée. Celle-ci est d'autant plus nécessaire que chaque groupe n'a généralement pas fait les mêmes commentaires, ni achoppé sur les mêmes points. Après l'affichage du texte correctement orthographié, et aussi, dans certains cas, de l'ensemble des transcriptions, les élèves rappellent les problèmes soulevés dans les groupes, la synthèse est inscrite au tableau de sorte qu'apparaissent ceux qui sont restés en suspens. Ils seront l'objet des séances &observation et de systématisation qui suivront.
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