[Orthographe]

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MEMOIRES D’UN ANCIEN DYSORTHOGRAPHIANT
Marc Constant (aujourd'hui radiologue… )

Avant de vous relater mes déboires avec l’orthographe, je vais vous expliquer comment j’ai appris à lire ou plus exactement comment j’ai su lire. La lecture n’étant pas encore à mon programme de très jeune élève, j’étais intrigué à chaque récré du midi par le dessin que faisait un monsieur au tableau de la grande salle, salle qui regroupait les trois ou quatre niveaux d’un village international perdu dans les montagnes iraniennes. N’ayant pas repéré immédiatement ce petit manège, j’ai du prendre le train en route et me souviens bien d’un « F » aux allures de fête avec rubans à la craie de couleurs suivi à distance de ces quatre signes "f ê t e". Quelques jours plus tard, je collais mes mains à la vitre pour éviter les reflets du soleil et j’ai vu se dessiner lentement et méticuleusement comme par un rituel annuellement renouvelé depuis la nuit des temps un « J » suivi des ces lettres jojo ; jo jo, c’était clair ! jojo, juju, jiji…J’avais déjà bien compris que tous ces dessins appartenaient à une même famille, mais je venais de réaliser que leur association formait les sons et les mots que j’utilisais pour parler. J’étais impatient de rentrer pour tester cette théorie, et au retour, j’ai ouvert un des rares livres dont nous disposions, un livre bleu, au beau milieu d’une page de droite, c’était bien ça, passionnant ! Après quelques jours de réglage, je savais lire.

Hélas, cette réussite précoce spontanée était le prélude à de nombreuses années de galère. Bien évidemment, quant je me suis retrouvé parmi les grands, assis dans la grande salle, avec au retour de la récréation de midi un petit dessin représentant la lettre A, comme dans boa ou encore Allah, j’ai réalisé que je devrais subir lentement comme un supplice tout l’alphabet, que rien ne me serait épargné jusqu’au Z. Et après, ils seraient capables de faire des associations, b a ba, b a u bau, etc.…pour allonger la sauce et traîner jusqu’à l’année suivante. Heureusement, il y a aussi des oiseaux lyres en Iran.

De retour dans le Nord de la France, et bien que placé bien en avance pour mon âge, ma scolarité a été dominée par l’ennui jusqu’en classe de seconde.
D’emblée, mes résultats furent entachés par des déboires avec l’orthographe et surtout, plus grave, par des zéros en dictée.
Au début, l’exercice ne me déplaisait pas plus que les autres et je n’avais pas l’impression d’être en difficulté. Mais au retour des copies, c’était le zéro systématique. Il n’y avait pas un nombre considérable de fautes et ces fautes me semblaient anodines. Un exemple, je ne mettais pas d’accent sur les a. Faute probablement grave car elle était sanctionnée de quatre points. Uniquement avec cela, j’étais déjà sous la moyenne après les deux premières phrases. En fait, je maîtrisais parfaitement la différence entre a et à, mais sur une phrase telle que « je vais a la campagne », il me semblait qu’il fallait vraiment être con pour imaginer que le a corresponde au verbe avoir. Marquer graphiquement une évidence ne me semblait pas important.
Problème également avec les accents car j’avais bien repéré que la plupart des accents étaient aigus, et je ne percevais ni le moment ni l’intérêt, de temps en temps d’en mettre un dans l’autre sens (-2 seulement). Moins de problème avec les accents circonflexes qui correspondent à une graphie particulière et donc à des mots calligraphiquement plus repérables.
Des problèmes également avec les redoublements de consonnes pour lesquels je faisais presque toujours le mauvais choix (-2).
Plus généralement, quand une orthographe de mot me posait problème, je faisais le mauvais choix (encore -2)
Je ne parvenais pas à entrer dans la logique de l’orthographe : Toujours, toujours un S, jamais, jamai d’S.
En revanche, les mots complexes étaient souvent bien orthographiés, là où la classe avait buté, le zéro avait parfois bon.

Ce n’était pas ces quelques consolations qui amélioraient le score sur les bulletins, d’autant plus que le problème s’étendait comme la peste aux autres matières : -3 en rédaction, -3 en histoire et géographie et même -2 en math, le tout dans un ensemble moins que moyen, entraînant brimades, punitions et privations.
Malgré la connaissance des règles de la grammaire et les efforts de relecture qui tentait d’être attentive, le barème me reléguait tous les ans sous la barre du zéro, rarement de beaucoup, mais systématiquement. La dictée était devenue la suprême humiliation ou presque toute la classe me passait dessus. Je me rendais compte que ces prises de température itératives avaient fini par sérieusement irriter ma marge anale sans améliorer la maladie. En fin de seconde troisième après deux quatrièmes, la coupe était pleine et mon prof de français envers qui je n’avais par ailleurs aucune animosité a reçu en guise de dictée l’unique mot suivant :

Frereshumainsquiapresnousviveznayezlescoeurscontrenousendurciscarsipitiedenous
pauvresavezdieuenauraplustotdevousmercisvousnousvoyezciattachéscinqsix
quantalachairquetropavonsnourrie…etc.

Zéro pour zéro !
Résultats du BEPC : Dictée 0, Grammaire 10. Les meubles étaient sauvés.

Mon orthographe est restée très approximative jusqu’au jour où, en deuxième année de faculté, j’ai rendu une copie d’examen avec une dizaine de fois écrit le mot « reinal ».
Il m’est alors apparu qu’il devenait dommage d’être pénalisé sur la forme qui demandait en réalité peu d’effort pour être améliorée, alors qu’en parallèle, il fallait déployer d’importants efforts pour gagner sur le contenu.
Un minimum d’attention et de recherche dans le dictionnaire m’a étonnamment fait passer de dysorthographiant à correcteur en quelques mois. J’ai guéri tout seul, sans patch.

Quelques temps plus tard, un voisin d’examen, qui avait planché avec semble-t-il beaucoup de connaissances, le nez dans la copie, pendant une heure sur un sujet de dermatologie relève la tête au gong de fin d’épreuve et me demande affolé, syphylysse, cela s’écrit comment ? Fièrement, je lui épelle S Y P H I L I S et il se replonge rageusement sur sa copie pour de multiples corrections.

Je suis maintenant marié, père de deux enfants, le premier perd encore souvent des points en math et ailleurs (-2 pour orthographe), le deuxième est bien meilleur, il n’a pas toujours zéro à sa dictée ! Mais je crains de leur avoir transmis à tous les deux le locus de la dyslexie de mon chromosome 15q.

Est-ce possible que, comme moi, ils puissent être un jour définitivement guairrits ?